Bien que j'habite au dernier étage et que la façade de l'immeuble ne possède ni corniche, ni crochets auxquels on pourrait s'agripper, chaque nuit j'entends les malfaiteurs escaladant la maison, et parfois j'arrive même à les voir. J'étais un peu inquiet au début – bien que je ne possède rien de précieux et que je n'attends aucun héritage – mais il m'avait semblé qu'ils passaient le plus clair de leur temps sous ma chambre. Pour plus de sûreté, attentivement, je fis le tour de ma chambre – bien que j'en connaisse parfaitement chaque objet – en essayant de tout regarder avec des yeux de malfaiteur, mais cette fois encore je n'y découvris aucun trésor. Alors l'idée m'est venu que peut-être ils avaient choisi une façade aussi inaccessible pour y faire passer le brevet de malfaiteur. On m'avait parlé un jour d'un vol perpétré chez des amis à moi : on leurs avait dérobé l'appartement, en laissant intact tout ce qu'il contenait. On retrouva tous les objets suspendus en l'air là où auparavant se trouvait l'appartement, mais l'appartement lui-même avait disparu sans laisser la moindre trace. Des années durant ce vol fut considéré comme le chef-d'œuvre de la cambriole, mais un seul coup d'œil sur les malfaiteurs accrochés à la façade de l'immeuble m'a fait comprendre que pour grimper sur une façade comme une mouche, absolument insensible à la loi de la pesanteur, il fallait être maître malfaiteur depuis bien longtemps. Ce devait être là des gens ayant passés tous les examens et qui avaient un tout autre but en tête. Plusieurs fois j'ai vu leurs dos, car bien sûr je ne pouvais plus dormir, j'écoutais leurs déplacements prudents – que l'on ne saurait entendre – à moins d'avoir une oreille bien entraînée – et que personne n'entendait, à part moi. J'en ai parlé à mots couverts au musicien qui habite à l'étage au-dessus, mais il faut croire que ses oreilles ne sont remplies que de sons qui peuvent être divisés par un nombre entier et qu'elles n'appréhendent pas les sons indivisibles ; il ressort clairement de ses discours qu'il habite un monde où le plus petit son est au moins aussi gros qu'une soucoupe. Et malgré la bonne volonté dont il semble faire preuve, il est évident qu'on ne peut plus rien pour les gens comme lui. Il avait essayé de paraître sincère en disant que s'il entendait quelque chose il me le ferait savoir. Mais il ne sait pas que je n'ai plus besoin de lui. Il arrive trop tard. Je possède désormais l'explication, mais je ne la lui donnerais pas pour ne pas faire allusion à sa mauvaise ouïe. En effet, par une nuit d'insomnie, je réussis à voir le visage de l'un des malfaiteurs, celui qui était le plus près de moi. Alors je sus que les malfaiteurs s'entraînent pour la vie d'outre-tombe.
Trd.fr.O.M.
Cette traduction est parue pour la première fois sur feu le site Mazepa99, en 1999 ou 2000. Web.Archive.org en a gentiment sauvegardé la page consacrée à la prose de Emma Andievska en traductions françaises.
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