Емма Андієвська ☼ Emma Andievska
Tiré du recueil Tigres, 1962
Les Malfaiteurs
Bien que j'habite au dernier étage et que la façade de l'immeuble ne
possède ni corniche, ni crochets auxquels on pourrait s'agripper, chaque nuit
j'entends les malfaiteurs escaladant la maison, et parfois j'arrive même à les
voir. J'étais un peu inquiet au début – bien que je ne possède rien de précieux et que je
n'attends aucun héritage – mais il m'avait semblé qu'ils passaient le plus clair
de leur temps sous ma chambre. Pour plus de sûreté, attentivement, je fis le
tour de ma chambre – bien que j'en connaisse parfaitement chaque objet – en essayant de tout regarder avec
des yeux de malfaiteur, mais cette fois encore je n'y découvris aucun trésor.
Alors l'idée m'est venu que peut-être ils avaient choisi une façade aussi
inaccessible pour y faire passer le brevet de malfaiteur. On m'avait parlé un
jour d'un vol perpétré chez des amis à moi : on leurs avait dérobé
l'appartement, en laissant intact tout ce qu'il contenait. On retrouva tous les
objets suspendus en l'air là où auparavant se trouvait l'appartement, mais
l'appartement lui-même avait disparu sans laisser la moindre trace. Des années
durant ce vol fut considéré comme le chef-d'œuvre de la cambriole, mais un seul
coup d'œil sur les malfaiteurs accrochés à la façade de l'immeuble m'a fait
comprendre que pour grimper sur une façade comme une mouche, absolument
insensible à la loi de la pesanteur, il fallait être maître malfaiteur depuis
bien longtemps. Ce devait être là des gens ayant passés tous les examens et qui
avaient un tout autre but en tête. Plusieurs fois j'ai vu leurs dos, car bien
sûr je ne pouvais plus dormir, j'écoutais leurs déplacements prudents – que l'on ne saurait entendre – à moins d'avoir une oreille bien
entraînée – et que personne n'entendait, à
part moi. J'en ai parlé à mots couverts au musicien qui habite à l'étage
au-dessus, mais il faut croire que ses oreilles ne sont remplies que de sons
qui peuvent être divisés par un nombre entier et qu'elles n'appréhendent pas
les sons indivisibles ; il ressort clairement de ses discours qu'il habite un
monde où le plus petit son est au moins aussi gros qu'une soucoupe. Et malgré
la bonne volonté dont il semble faire preuve, il est évident qu'on ne peut plus
rien pour les gens comme lui. Il avait essayé de paraître sincère en disant que
s'il entendait quelque chose il me le ferait savoir. Mais il ne sait pas que je
n'ai plus besoin de lui. Il arrive trop tard. Je possède désormais
l'explication, mais je ne la lui donnerais pas pour ne pas faire allusion à sa
mauvaise ouïe. En effet, par une nuit d'insomnie, je réussis à voir le visage
de l'un des malfaiteurs, celui qui était le plus près de moi. Alors je sus que
les malfaiteurs s'entraînent pour la vie d'outre-tombe.
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