Емма Андієвська ☼ Emma Andievska
Tiré du recueil Voyage, 1955
D. et la mort
Lorsque D. revint d’un
long voyage, il fut très surpris de voir son frère aussi changé.
– Qu’est-ce que tu as ?
– Je t’attendais, –
dit le frère.
– Je n’aurai pas pu
te le dire dans une lettre, et de toute façon cela n’aurait servi à rien. Il fallait
que je te vois. Tu sais que toute ma vie j’ai eu un problème au cœur. Je me
suis habitué à la maladie, et jusqu’à présent elle m’avait laissé tranquille.
Mais depuis que tu es parti la mort vient me rendre visite. Quand je suis seul,
en silence elle arpente la chambre en renversant les chaises, et j’ai très
peur. Je t’en supplie, tu es plus jeune que moi et tu es en pleine santé, viens
habiter chez moi quelques temps. Elle cessera de m’importuner. Elle vient
uniquement lorsque je suis seul. Elle me fait peur.
D. aimait beaucoup
son frère, mais il ne voulait pas quitter son vieil appartement dans la
banlieue et d’aller vivre avec lui.
– Ne crains rien, – dit-il
en riant, – je parlerais à la mort.
– Je n’affabule pas,
frère. Crois-moi elle ne voudra pas apparaîtra en ta présence.
– Alors dit lui de
venir me voir. Dis-lui simplement que ton frère veut la voir.
– Oh, – soupira le
frère de D., – si je pouvais lui parler, elle ne me ferait pas peur. Cela t’est
facile de parler ainsi, à toi qui est jeune et en bonne santé. En sa présence, de
peur, je ne peux faire le moindre mouvement.
– Tu n’es pas obligé
de lui parler, – dit D., – tu peux te dissimuler sous l’édredon et de là lui
crier qu’elle vienne me voir.
– Mais je ne peux pas,
– dit le frère.
– Alors je lui
laisserais un mot et tu n’auras qu’à le laisser bien visible, et si ça ne
marche pas nous aviserons.
Ils décidèrent de
faire ainsi, et bientôt la mort vint voir D.
D. était en train d’arroser
les plantes, lorsque fugace sa robe rose passa derrière la clôture. Mais D. l’a
reconnu. Elle avait des joues toutes rouges et ses bas étaient mis à l’envers.
D. posa l’arrosoir au
milieu des phlox, ouvrit le portillon et laissa la visiteuse entrer dans le
jardin.
Les propriétaires
chez qui D. louait son appartement était allés rendre visite à de lointains
parents et D. était seul à la maison. Il apporta un bol de fraises de bois, des
verres, de la crème fraîche, du sucre et des cuillères et une fois installé il
raconta des histoires. Elle se passionna pour ces histoires, elle mangea tant
de fraises de bois que ses cheveux en devinrent d’un jaune brillant. D. fut
obligé à plusieurs reprises de lui verser de l’eau de l’arrosoir pour qu’elle
puisse se laver et de lui apporter une serviette. La mort partit de chez D. lorsque
les réverbères brillaient déjà derrière la villa se frayant un chemin parmi les
feuilles vers les jardins, lorsque des nuages de moustiques bourdonnaient dans
l’air transi par les effluves de tabac, de menthe et de la terre.
Après cette visite la
mort cessa d’aller chez le frère de D., en revanche elle venait de plus en plus
souvent chez D. Elle aidait D. à tailler les arbres, à planter les fleurs et un
jour elle réussit même à faire du thé et des varényky aux fraises pour
D. Mais les varényky étaient totalement ratés et la mort riait de son inexpérience
en jetant la substance visqueuse et grumeleuse et ils burent simplement du thé.
Puis la mort amena des cartes et D. lui montra des solitaires qui lui ont
beaucoup plu.
La mort se demanda
pourquoi elle avait d’abord choisi le frère malade au lieu de choisir D. Elle
se lia tellement d’amitié avec D. qu’à l’automne, quand les pommes étaient déjà
mûres, elle lui dit de se préparer à faire un long voyage : elle le
prenait lui à la place de son frère.
D., qui tenait une
jatte remplie de pommes, la posa sur la table et dit en souriant :
– La mort, je suis un
poète, est-t-il possible que tu ne sache pas qu’il nous a été donné de mourir le
même jour ?
La mort eu honte
comme jamais auparavant, timidement elle demanda à D. si elle pouvait prendre une
pomme et s’installant confortablement dans le fauteuil elle écouta le conte que
D. venait d’imaginer.
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