Vendre printemps
Pour cent dollars
par mois on pouvait s’acheter une prostituée. Et elle était à vous chaque soir
les jours ouvrables. Mais sans rapports, bon.
Vendre printemps. C’est le mot japonais prostituée, il est composé de deux hiéroglyphes
– vendre et printemps.
Cent dollars
par mois. Bigre. Les gens prennent de l’argent pour rien, vraiment. Qui donc
les paye ? Vous ne verrez jamais les passagers du métro de Tokyo lire
Murakami. Cela dit, ils lisent pas beaucoup. Ils préfèrent regarder les images.
Je me demande s’ils auraient accepté de payer dix milles yens mensuelles pour une prostituée les
soirs des jours ouvrables ?... Et je me dis que oui, qu’ils auraient payé.
Pour se rassurer. Ils sont souvent anxieux les passagers du métro de Tokyo.
Je tourne la tête. Les passagers du métro de Kyïv se sont
assoupis. Il fait tard, et ils se sont assoupis, tout est parfaitement logique.
Ils vont jusqu’au terminus avec la dernière rame. On les réveillera au besoin.
Ils sont assoupis, et ils sont paisibles. J’ai envie de dire des mots japonais très
simples. A voix haute. Pour se donner du courage. Pour se distraire un peu.
Ma clef ne rentre pas dans la serrure, je décide d’attendre
encore un peu on ne sait quoi, car il n’y a rien ni personne à attendre, je
suis seule à la maison, et il fait froid, et encore quelques circonstances
dont...
Mais j’attends. Les passagers du métro de Kyïv passent à
côté. Et je suis certaine que certains parmi eux ne seront jamais, mais absolument
jamais passagers du métro de Tokyo, cela dit – qu’est-ce que ça peut bien me
faire.
Je baye. Cinq cent cinquante hryvnya, que je me dis. Quand donc les Japonais changeront
leur monnaie, que je me dis. Quand donc enfin l’économie japonaise battra tous
les records. Quand donc enfin viendra le printemps. Bien qu’à dire vrai toutes ces questions me
dépassent.
Et les heures passent, et d’autres heures arrivent à leur
place, et passent elles aussi. Particulièrement vite, je dois dire, après trois heures de l’après-midi.
Je me dis combien ces gens se contentent de peu pour se
vendre ainsi. Ou peut-être pour eux ce n’est pas se trahir soi-même. Peut-être
ont-ils d’autres buts.
Cette fille là en tout cas en avait un : cent dollars pour trente-cinq soirées. Et
chaque soir elle ne pouvait se vendre que quatre heures. Autrement dit cent dollars pour cent quarante heures. Ouais.
Je viens de faire le calcul sur le mobil. Ça fait septante et un cents de l’heure. Septante et un yen. Presque quatre hryvnya. Foutre dieu !
A mon bahu pour quatre hryvnya
on peut boire un moccachino et un capuccino. Ou boire un capuccino et manger un
hot-dog. Ou alors le hot-dog, du thé et une pâtisserie. Mais… On peut en faire
des choses à mon bahu avec quatre hryvnya.
Mais qu’est-ce qu’on peut faire avec elle ? Parler avec
elle, mais de quoi ?
Un jeune homme s’est arrêté, m’a demandé si je n’avais
pas froid à rester là comme ça. Puis il demanda si je n’avais pas du feu.
Je sortis le briquet du fond du sac, le lui tendis. Pendant qu’il fait des
étincelles, je lui demande :
– Vous auriez acheté le printemps pour combien ?
Il me fait répéter, je souris. Merci. Il s’en va. Je
tourne la clef et rentre à la maison.
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