Désormais disponible
en ligne. Merci à Diasporiana.org.ua !
Piotr Rawicz, "Depuis des années je n’ai lu de livre plus terrifiant..." (Préface au
roman de Vassyl Barka, Le Prince jaune, 1981. Une version
abrégée de ce texte est parue il y a quelques années dans l’ouvrage consacré à
Piotr Rawicz : Un ciel de sang et de cendres.)
Quelques extraits :
...En attendant, on
peut parler d’un miracle : Bajan, Sossioura, Rylsky, Zerov, le génial
Tytchyna... peu de littératures européennes peuvent se vanter d’avoir fait
surgir une telle pléiade de grands poètes en un laps de temps aussi bref. Youri
Yanowsky, Maïko Yohansen, Ploujnyk, Ostap Vychnia, Khvylovyï – la prose elle
aussi se situe à des hauteurs surprenantes... J’ai sous les yeux le catalogue
général de Gallimard. On y trouve des centaines, des milliers de traductions de
dizaines de langues, mais à une seule exception près, celle des Cavaliers de
Ianowsky, aucune trace de cette moisson. Avis aux éditeurs à la recherche de
talents à découvrir ou redécouvrir.
...
Non, ni les
récits hallucinant de Varlaam Chalamov ni le grandiose Archipel du Goulag de
Soljénitsyne ne pouvaient tout dire. Ces villages ukrainiens jadis florissants
transformés en cimetière ne rappellent-ils pas les ghettos après le passage d’un
commando S.S. ? Ces rafles de paysans en ville et ces fosses communes où l’on
précipite morts et vivants ne font-elles pas penser à l’holocauste hitlérien ?
... Il faudrait une
étude « psycho-historique » approfondie pour déterminer dans quelle
mesure les traumatismes dus au génocide de 1932-33 et à la « renaissance
fusillée » ont pesé sur ce choix criminel (et inepte) de certains
dirigeants nationalistes mis entre la Scylla du nazisme et la Charybde du
communisme.
... Mais il serait
injuste de ne voir dans Le prince jaune qu’un document. Ce roman est aussi et
avant tout une œuvre d’art, un poème. Romancier, critique, penseur, religieux,
essayiste, jouant en virtuose de tous les registres de l’ukrainien – langue-steppe,
langue-eau, langue-marécage, langue-crépuscule – Vassil Barka est avant tout un
poète, auteur d’une monumentale épopée en vers intitulé Le témoin où il évoque
entre autres l’extermination des Juifs en Ukraine sous Hitler. Cette œuvre géante
en quatre volumes attend encore un traducteur inspiré pour paraître en quelque
langue de grande diffusion. ...
Dans toutes les
lettres contemporaines on chercherait en vain, me semble-t-il, une image aussi
impitoyable et aussi cliniquement fidèle de la faim, de ce que la faim mortelle
inflige au corps, à la conscience, à l’esprit humains...
Puisse donc Le prince jaune servir d’avertissement. Puisse-t-il aussi ouvrir la voie à d’autres traductions, à d’autres publications faisant connaître aux Français une façon d’être et de sentir, une civilisation et une littérature d’un grand pays. L’avenir de l’Ukraine aura sur celui de l’humanité entière une influence décisive.
Piotr Rawicz
suivi de
Vassyl Barka, Le Prince jaune, traduction française de Olga Jaworskyj, Gallimard, Paris, 1981.
Confronté à l'ignorance pathologique de la question oukraïnienne, chaque préfacier croit nécessaire de présenter une brève histoire de l'Oukraïne, ainsi que le panorama de sa littérature inconnue. C'était déjà le cas en 1966 pour Emmanuel Raïs : L'Ukraine cette inconnue, préface de l'anthologie "Nouvelle vague poétique en Ukraine", PIUF, Paris, 1967.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire