Parmi les totems du Maïdan, quatre sont des poètes et le cinquième : Serhiy Nigoyane. Ecris avec ton sang et tu apprendras que le sang est esprit. |
Serhiy Jadan
"Ma poésie..."
Grossesse
Les dictionnaires au service de l'église
* * *
Ma poésie
ne fait pas avancer le processus littéraire.
Ma poésie
est sans talent et sans grâce.
Elle est insipide et quelconque,
Ce n’est même pas de la poésie à proprement parler
puisque
Je n’ai pas l’amour de la Patrie de toutes les fibres de mon
corps
Je n’aime pas le chant du rossignol au-dessus des étangs
Les vers de Chevtchenko... me font gerber
Je suis athée et me méfie des églises comme de la peste
bref
Ma poésie
ne fait pas avancer le processus littéraire.
Ma poésie
est sans talent et sans grâce.
Elle est insipide et quelconque,
Ma poésie.
Et ce n’est même pas de la poésie à proprement parler
puisque
Je n’ai pas l’amour de la Patrie de toutes les fibres de mon
corps
Je n’aime pas le chant du rossignol au-dessus des étangs
Les vers de Chevtchenko... me font gerber
Je suis athée et me méfie des églises comme de la peste
bref
Ma poésie
ne fait pas avancer le processus littéraire.
etc.
* * *
Grossesse
Elle lui a dit
au début de l’été,
quand il n’y avait plus moyen de le taire.
« Et c’est pour quand ? » - demanda-t-il.
« Après le Nouvel An », -
dit-elle.
L’air estival baigné
de pluie,
les jours si longs,
que
le soleil couché déjà,
un long moment encore
ne vient la nuit.
A l’aube les pécheurs
partent en mer
et lorsqu’ils
reviennent,
leurs filets sont
lourds d’oursins géants
et de méduses
brûlantes comme le
feu.
Posant la tête contre
son ventre, il
l’écoutait
comme on écoute un coquillage
avec dedans les chants des cétacés.
Et le soir
après son labeur,
il restait auprès d’elle,
lui parlant des affaires, de tous les
petits riens de la journée.
Ils s’étaient mis d’accord :
si c’est un fille, elle choisira le prénom
mais si c’est un garçon
il fera le choix.
Et Marie prononçait à voix haute les prénoms féminins,
en sachant parfaitement -
Il sera un garçon.
Et Joseph égrenait
les prénoms masculins
et ne savait encore rien.
* * *
Les dictionnaires au service de l'église
C'est arrivé - celle qu'il aimait choisit de vivre ailleurs, quitter l'pays. Ce jour elle dit comme ça, tu sais, je dois partir, mais nous avons une soixantaine de jours... tu peux m'appeler. d'accord, dit-il, d'accord, mais... et après ? après ? demanda-t-elle. qu'est c'qui s'passera avec ton numéro, après. on te le prendra ou tu le donneras à quelqu'un ? tu comprends c'que j'veux dire ? qui prendra l'écouteur, si je t'appelle dans deux mois ?Et... je ne sais pas, dit-elle, le numéro va être annulé sans doute. comment ça annulé ? et bien tout simplement annulé quoi. et après ? après ? mais rien : je quitterai ce pays, je m'occuperai, je n'sais - à lire, aller à la campagne, prier peut-être. et moi ? et toi ? toi aussi tu peux prier, si t'as du temps.D'accord, dit-il, c'est ce que je vais faire - j'apprendrai une prière et je vais prier. je me demande comment tu vas prier. comment je vais prier, mais je n'sais pas... quelle importance comment je vais prier ?Mais tu es un incroyant, dit-elle. et qu'est-ce que ça peut faire, puisque je ne vais rien demander, je vais simplement prier comme je pourrai, pour faire la même chose que toi, tu comprends ? s'il y avait ton numéro, j'aurai appelé, mais là qu'est-ce qui me reste ?Je sais maintenant pourquoi tout s'est passé ainsi pour nous - une trop grande dépendance aux dictionnaires, aux lexèmes et à toutes ces diphtongues qui s'émiettent sur la langue, la confiance injustifiée absolument que nous leur accordons, ma langue, je sais, mon dictionnaire, imprimé sur du papier amer et clair, je le lisais dans les bistrots et dans les trains, acheté aux puces de Berlin-Est, encore dans les années 90, lorsque je n'te connaissais pas. je mourrai patriote, même si tu quittes ce pays pour toujours, j'essaierai d'appeler ton numéro, même si ce sont des voix de l'enfer qui répondent, je tournerai les pages de mon putain de dictionnaire, même s'il n'y reste plus un seul mot qui n'ait servi.
rien ne l'arrêtera
personne ne la fera changer d'avis
près de 100 mille mots et groupes de mots
et avec tout ça impossible de lui parler
Première publication : numéro décembre 2014 du mensuel "Le Chat Blanc", Alais, Occitanie (dans la rubrique "Votre langue trop grande dans ma bouche...").
traduit de l'oukraïnien par Oles Masliouk
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