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"Un dimanche, dans la prairie, — les jeunes filles se promenaient, — plaisantaient avec les garçons — pêle-mêle ; elles chantaient — l'aurore du matin et du soir, — et comment la mère battait sa fille — pour l'empêcher d'aller avec un Cosaque. — Ordinairement les fillettes — chantent ce qui les concerne ; — c'est ce qu'elles savent le mieux.
"Et voilà qu'un vieil aveugle, — avec un petit garçon, — arrive d'un pas chancelant dans le village, — ses souliers à la main, — un sac d'écorce de tilleul — sur l'épaule...
"Regardez, fillettes, — le kobzar ! voilà le kobzar ! — Et toutes, se hâtant, — laissant là les garçons, courent — à la rencontre de l'aveugle. — Vieux père, cher cœur, mon petit ramier, — chante-nous quelque chose ! — Je te donnerai du gâteau ; moi, des cerises ; — moi, de l'hydromel pour te rafraîchir... Chante-nous quelque chose !
"— Oui, mes chéries, j'entends ; — merci, mes fleurettes, — pour vos paroles gentilles. — J'aurais bien joué... mais voyez, — il n'y a pas moyen, pas moyen ! — Hier, j'étais dans une foire, — ma kobza a été cassée... — Il ne reste que trois cordes !... — Eh bien ! avec trois, comme tu pourras ! — Avec trois ! ah ! fillettes, — il fut un temps où je jouais avec une seule, — mais à présent je ne pourrais plus. — Attendez un peu mes chéries, — je vais me reposer un moment. — Attendez un peu, mes chéries, — je vais me reposer un moment. — Asseyons-nous, gamin !
"Ils s'assirent. Le vieillard défit son sac, — et en tira la kobza. Deux ou trois fois — il fit résonner les cordes... — Que chanterai-je ?... Attendez... — La brune Marianne... — L'avez-vous déjà entendue... Non ? — Alors, écoutez, fillettes, — et rentrez en vous-mêmes...
"— Au temps jadis, — il y avait une mère — restée veuve, et pas jeune. — Elle avait des bœufs, des chariots. — Sa fille Marianne grandit, — devint une demoiselle — aux sourcils noirs, merveilleusement belle, — digne d'un pane hetman. — La mère se mit à chercher, à chercher un gendre ;... mais ce n'est pas un pane que Marianne — allait voir en cachette, — c'est Pètre qu'elle allait voir, dans le bois, — dans la prairie, — tous les soirs. — Elle babillait et badinait avec lui, — l'embrassait en extase, elle était au paradis... et parfois — elle pleurait sans dite une parole.
"— Pourquoi pleures-tu, mon bel oiseau ? — lui demandait Pètre. — Elle le regardait, et, souriante : Je n'en sais rien moi-même ! — Tu penses peut-être que je t'abandonnerai ? Non, je n'irai avec toi et je n'aimerai — tant que je vivrai. — Tu plaisantes, mon ramier, — tu penses à quelque chanson... — Les kobzars disant ces choses-là, — mais ils sont aveugles ! Ils ne savent pas — qu'à mon bien-aimé Pierre — du fond de la tombe noire, — je sourirais, en lui disant : — Mon aigle aux ailes bleues, — je t'aimerai dans l'autre monde — comme je t'ai aimé dans celui-ci.
"Voilà comment ils s'aimaient, — et comment ils voulaient — s'aimer jusque dans l'autre monde... — Mais il n'en fut pas ainsi... — Marianne ne savait qu'aimer, elle pensait que ce sont des histoires de kobzars, ... d'aveugles qui ne voient pas les yeux bruns — et qui médisent des jeunes filles... Ils médisent de vous, fillettes, mais ils disent vrai. — Moi aussi, je médis de vous, car je connais le mal ; — Dieu vous fasse la grâce de ne pas savoir ici-bas — ce que je sais !... Il fut un temps, fillettes, ... où mon cœur ne dormait pas ; je ne vous ai pas oubliées ; — je vous aime depuis lors comme une mère ses enfants. — Je chanterai pour vous tant que je vivrai... — Et mes chéries, quand je ne serai plus, — souvenez-vous de moi et de ma Marianne. — Moi, de l'autre monde, je vous sourirai tendrement, — je vous sourirai...
"Et il se prit à pleurer. — Enfin, au bout d'un moment, grâce — aux caressantes paroles — d'une gentille fillette. Voyez, — dit-il en essuyant ses yeux aveugles, — Voyez, mes chéries, — malgré moi je m'attendris...
"La mère s'étonnait pourtant : — Qu'est-ce qui arrive, pensait-elle, — à Marianne ? Elle s'assied pour coudre, — et elle ne coud pas ! — Dans ses rêveries, au lieu de chanter Gritsa, elle chante Pétrouss ! — En dormant, elle parle, — et donne des baisers à son oreiller !
"Elle commença par rire, — puis, voyant que c'était sérieux, — elle dit à Marianne : — Tu t'aperçois, je m'imagine, — qu'il faut songer à te marier ? — Et avec qui, maman ? — Avec celui que tu choisirai !...
"Marianne, restée seule, chanta : — Ton bonheur est fini, — fini pour la vie... — Pourquoi hier, en revenant, — ne t'es-tu pas endormie pour toujours ? — Il serait moins cruel de dormir — seulette dans le tombeau. — Peut-être alors sur toi ta mère aurait-elle pleuré ! — Maintenant ta mère ne te pleurera pas, — ne chantera pas derrière ton cercueil, — et tu seras malheureuse encore, encore — jusqu'à ce qu'on ce qu'on te mette dans la terre !
"Un soir, pendant que sa mère — dormait, elle sortit — pour écouter le rossignol, — comme si, de sa vie, elle ne l'eût entendu. — Elle sortit dans le jardin, écouta, — chanta un peu à son tour, — puis se tut. Sous un pommier, — silencieuse elle s'arrêta — et pleura comme pleure — un enfant sans mère...
"— Maman, que je suis malheureuse ! — Pourquoi m'as-tu donné — ma beauté et mes sourcils noirs — et mes yeux bruns ? — Tu m'as tout donné, mais ma part — ma part, tu me la refuses... — Pendant que je ne connaissais pas la peine, — pourquoi ne m'as-tu pas enterrée ?"
"Marianne à travers ses larmes — ne voyait pas la lumière du jour. — Elle se mit à chanter : — "La lune brille à travers la forêt." — Elle chantait, s'interrompait, — prêtait l'oreille, recommençait encore... — sa faible voix se fatiguait, — mais elle n'entendait ni la voix — de Pètre, ni son cri d'appel, — ni ses paroles accoutumées : "Marianne, — où es-tu, mon bel oiseau ? chante, mon cher cœur, ma bien-aimée !"
"Pètre n'était pas là... — Serait-il possible qu'il eût abandonné — la pauvre fille aux noirs sourcils, — en cette heure mauvaise ? — Voyons encore, se dit-elle... Cependant, — le long du bois sombre, — comme une roussalka qui attend la lune, — Marianne se promène. — Elle ne chante plus, la fille aux noirs sourcils, — elle pleure amèrement... — Oh ! reviens, regarde, — oublieux Cosaque ! — Marianne est épuisée, — mais elle ne sent pas la fatigue ; — seule, dans le voies et dans la prairie, — elle erre toute la nuit. — Le ciel rougit, puis le soleil paraît ; — la jeune fille jusqu'à la cabane — emporte sa douleur. — Elle arrive, elle regarde — sa mère qui dort. — "Oh ! si tu savais, mère, — quel serpent — s'est enroulé autour du cœur — de l'enfant de ton sang !...
"Et elle tomba sur son lit — comme dans un cercueil..."
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