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mercredi 9 octobre 2013

Taras Chevtchenko - Hamalia - Гамалія

Archives Mazepa Nonante Neuf

Dans la traduction du baron Adolphe d'Avril    (1896)

Hamalia

" Oh ! il n'y a pas, il n'y a ni vents, ni flots
" De notre Ukraine !
" Y délibère-t-on comment se soulever contre le Turc ?
" Nous n'en entendons rien à l'étranger.
" Oh ! souffle, souffle, notre vent, à travers la mer,
" Et du côté du Grand-Lug.
" Dessèche nos larmes ; étouffe le bruit de nos fers ;
" Dissipe notre ennui.
" Oh ! joue ! joue ! petite mer bleuâtre,
" Sous ces navires-là
" Qui portent les Cosaques, dont les bonnets
" Vers nous scintillent.
" O notre Dieu, bon Dieu, quand même ce ne serait pas pour nous,
" Amène-les de l'Ukraine.
" Nous entendrons retentir la gloire, la gloire cosaque,
" Nous l'entendrons, et périrons après, s'il le faut. "
C'est ainsi qu'à Scutari chantaient les Cosaques prisonniers ;
Ils chantaient, les pauvres chéris, et leurs larmes coulaient,
Les larmes cosaques coulaient, marquant leur chagrin.
Bosphore en frémit, n'ayant jamais entendu
Le pleur des Cosaques ; il gémit, le large,
Le sauvage taureau ; il secoua sa peau,
Et, en rugissant, envoya ses vagues,
Les chassant sur ses côtes, loin dans la mer.
Et la mer mugit à son tour la parole du Bosphore,
La pousse vers Liman, et Liman transmit sur ses vagues
Ce langage de douleur, jusqu'au Dniépr.
Il éclata de rire, notre vieillard gigantesque,
Tant que l'écume s'écoula sur sa moustache.
" Dors-tu donc ? l'entends-tu, frère Grand-Lug ?
" Ma sœur Khortycia, l'entends-tu ? "
Steppe et Khortycia répondirent : " Je l'entends,
" Je l'entends ! " Et Dniépr se couvre de petits navires.

Et les Cosaques poussent leur chant :
" Chez les Turquins, de l'autre côté,
" La maison est planchéiée.
" Hai, hai ! mer, joue,
" Gronde et brise les rades !
" Allons en visite !
" Chez les Turquins les poches sont pleines
" De ducats et d'écus,
" Nous n'allons pas vides les poches,
" Mais égorger et mette à feu,
" Délivrer nos frères !
" Les Turquins ont des janissaires
" Et des pachas sur leurs bancs.
" Hoë ! hi ! ennemis !
" Nous sommes sans hésitations !
" Gloire et liberté à nous ! "

Ils voguent en chantant ;
La mer ressent le vent.
Hamalia à la tête
Dirige le navire.
D'Hamalia bat le cœur ;
La mer s'est enragée
Pas de peur ! Et les voilà.
Cachés dans ces montagnes, dans les vagues.

Elle sommeille dans le harem, dans son paradis, la Byzance,
Et Scutari sommeille aussi ; Bosphore bouillonne,
Comme enragé ; tantôt gémit, tantôt rugit ;
Il veut réveiller la Byzance endormie.
— " Ne la réveille pas, Bosphore : tu en auras plus de mal ;
" Car seront ensevelies tes blanches côtes dans le sable,
" Au sultan ? " — C'est ainsi que la mer se calma
(Car elle aimait ces acharnés Slaves huppés).
Bosphore se retint. Les Turquins sommeillaient,
Aussi le lâche sultan sommeillait au harem.
Ce n'est qu'à Scutari que veillent dans les cachots
Les chers pauvres Cosaques. Et qu'est-ce qu'ils attendent ?
Enchaînés, dans leur langage, ils implorent le bon Dieu
Et les vagues s'enfuient, rugissantes, vers l'autre bord :

" O cher Dieu de l'Ukraine !
" Ne laisse donc pas périr à l'étranger
" Et en captivité, nous libres Cosaques !
" Car ce serait pour nous honte, ici, comme là,
" D'être ressuscités d'un cercueil étranger
" Pour apparaître à ton jugement ;
" Ce serait honte pour un Cosaque
" D'y apporter des mains enchaînées,
" Et d'apparaître avec des fers devant tout le monde. "

— " Egorge et frappe ! massacrez l'infidèle
" Bousourman ! " On crie derrière les murs.
Qui est là ? Là cœur d'Hamalia bat.
Scutari est perdue !
" Egorgez, massacrez ! " Sur le rempart
Commande Hamalia.
Scutari gronde de tous ses canons,
L'ennemi rugit et s'acharne :
Mais les Cosaques s'enfoncent sans peur
Et les janissaires roulent par terre.
Hamalia à Scutari
Se réjouit dans cet enfer ;
Il enfonce lui-même les portes dans la prison
Et brise lui-même les fers :
" Volez dehors, mes oiseaux sauvages,
" Au bazar, à votre butin ! "
Ils battent des ailes, les petits faucons,
Car il y a longtemps qu'ils n'entendirent pas
Ce langage baptisé. — Et la nuit
Elle-même s'éveille en sursaut :
Car la vieille mère n'a jamais encore vu
Les Cosaques, comment ils payent,
N'aie pas peur et regarde
Ce banquet cosaque :
Il fait sombre, comme un jour ordinaire,
Tandis que c'est une fête, et quelle fête !
Sont-ils donc des voleurs pour manger en cachette,
Avec Hamalia, leur lard sans chachélique ?
" Eclairons-nous ! " Scutari brille jusqu'aux nuages,
Mise en flammes avec ses vaisseaux et leurs mâts.

Byzance s'est réveillée,
Fait de grands yeux,
Arrive en nage au secours,
Tout grinçant des dents
Byzance rugit et s'acharne,
Tend ses mains vers la rive ;
Elle la saisie, elle s'appuie,
Se lève — et, tombée sous les couteaux,
Se tait, noyée dans son sang.
Scutari brûle comme un enfer ;
Le sang coule dans les bazars
Et tombe dans le large Bosphore.
Pareille aux oiseaux noirs dans une forêt,
Les Cosaques voltigent ; personne ne leur échappe.
Le feu même ne les brûle plus, ces gens trempés au feu !
Les Cosaques ruinent les murs, et emportent
Dans leurs bonnets l'or et l'argent.
Ils en remplissent leurs petits navires.
Scutari brûle, le travail arrive au bout ;
Les braves garçons se rassemblent, ils sont tous ;
Ils allument leurs pipes à l'incendie et s'embarquent
Sur les petits navires. — Ils s'en vont
En fendant les bagues, montagnes rougies.

Ils voguent librement comme s'ils venaient
De chez eux — comme s'ils s'amusaient
Et, comme toujours chez les Zaporogues,
Ils chantent chemin faisant :
" Notre ataman, Hamalia,
L'ataman acharné,
Rassemble ses braves et s'en va
Se promener en mer.
Il va chercher la gloire,
Et de la captivité turque
Délivrer ses frères.
Oh ! il arrive, Hamalia,
Jusqu'à cette Scutari
Où nos frères les Zaporogues
Attendent le supplice. "
— Oh ! s'écrie Hamalia,
Nous vivrons, mes frères,
Nous vivrons pour boire le vin
Et battre le janissaire
Et avec des tapis et des velours
Draper nos cabanes !
— Ils s'élancèrent, les Zaporogues,
Au champ couper le seigle ;
Ils coupaient le seigle et le mettaient en meules.
Et chantaient en chœur :
" Gloire à toi, Hamalia,
Par tout le vaste monde,
Par toute l'Ukraine,
Pour n'avoir pas laissé périr
Les camarades captifs ! "
— Ils voguent en chantant ; et par derrière
Vogue l'acharné Hamalia : on dirait
Un aigle qui veille sur ses aiglons.
Le vent souffle des Dardanelles,
Mais Byzance ne les poursuit pas.
Elle a peur qu'un Tchernetz de nouveau
Ne vienne allumer Galata,
Ou qu'un ataman Ivan Pidkova
N'appelle pas les Cosaques en mer.
Ils voguent librement et par dessus les flots,
Le soleil rougit les vagues.
Devant eux la mer chérie
Mugit et bouillonne.
— Hamalia, le vent souffle propice.
La voilà, notre mer !
Et ils se cachent derrière les vagues,
Derrière ces monts rosés.


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