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lundi 28 janvier 2013

Prokhasko à venir et quelques souvenirs


Actuellement je lis, ou plutôt j’étudie avec la plus grand soin «La Mythologie houtsoule. Dictionnaire ethnolinguistique» de Natalya Khobzeï. Une aide précieuse pour la traduction des Neprosti. Comment aurais-je su sinon que contrairement à ce qu’affirme le dictionnaire de Hryntchenko, verkhoblyoudnyk n’est pas un chameau (des chameaux dans les Carpates ?), mais l’un des Neprosti, le possesseur d’une pièce magique, qui revient toujours à son propriétaire en ramenant l’argent qui se trouve autour. C’est intéressant de traduire une œuvre faisant appel à des réalités si différentes de celles que je peux connaître. Le livre de Natalya Khobzeï permet aussi de mesurer combien Prokhasko s’éloigne de la mythologie houtsoule, comment il en joue. Taras Prokhasko est un écrivain pas simple, étrange et merveilleux.


 
Nous sommes plus ou moins du même âge, mais nos vies se sont passées très différemment. Cela dit nous avons en commun notamment un point de nos biographies : les petits boulots improbables. Ainsi il a été barman, et moi j’ai été serveur dans un cabaret russe, « La Balalaïka ». Un endroit parisien étonnant, une cave profondément enfouie dans la montagne Ste Geneviève. Elle appartenait (et j’espère appartient toujours) à un fameux joueur de balalaïka : Marc Loutchek. Premier prix du Conservatoire de balalaïka de Paris, Marék avait formé le meilleur groupe de musiciens tsiganes de Paris. Pour preuve : les vendredis et les samedis, après la tournée des restaurants et cabarets russes, au petit matin, les autres musiciens « russes » venaient là pour boire un coup et jouer pour le plaisir. Ce qui donnait parfois des jam-sessions fabuleuses.
Un bon souvenir « La Balalaïka ».

Je faisais d’autres choses aussi, par-ci, par-là. De la traduction technique, de l’interprétariat, pour la télé notamment, dérushage, sous-titres… En même temps j’étais sur la liste des interprètes du Quai d’Orsay. Le Protocole exigeant que l’on s’adresse en oukraïnien aux délégations officielles et l’indépendance ayant pris les Français totalement de court... Exactement comme lors de la première indépendance. Ainsi étais-je chargé de traduire pour Mme Koutchma lors de la visite officielle de son président de mari en 1997. Les Oukraïniens le savent, mais les Français apparemment l’ignoraient : Mme Koutchma ne parle pas oukraïnien et le comprend avec peine. Des collègues m’ont raconté son martyre lors de la visite au Canada. Les Canadiens lui ayant fourni un interprète oukraïnien-français-anglais natif du lieu et qui ne parlait donc pas la langue des voisins. Cette fois elle avait pris ses précautions : elle avait amené un interprète personnel. J’avais donc tout loisir à observer le monde très curieux des relations internationales et des rencontres au sommet, sans le stress de l’interprète au travail. « Traduire, c’est comme manger son propre cerveau » disait Anna Akhmatova lorsqu’interdite de publication elle fut obligée de traduire pour avoir de quoi manger. Si c’est vrai, et c’est certainement vrai pour un poète, interpréter c’est le faire dans un fast-food. Manger son propre cerveau à la va-vite et avec les mains.

Tiens, j’ai mangé une pomme ce midi, dit ma fille, ironique.

Bien sûr le petit personnel, dont les interprètes font certainement parti, ne mange pas à la table des grands de ce monde. D’ailleurs l’interprète est assis légèrement en retrait lors des festins officiels et chuchote à l’oreille de l’hôte de marque pendant que celui-ci se remplie la panse. La cuisine officielle française est excellente, je dois dire. (Ou alors les Oukraïniens étaient vraiment affamés.) Quant à moi, j’allais manger dans un établissement de restauration rapide. J’aime bien créer dans ma vie de petits épisodes ironiques pour mon seul plaisir. Un fast-food américain, évidemment.
 
Mais j’étais de retour pour assister au dîner offert par M. le Ministre des Affaires Etrangères. J’en profitais pour visiter le Quai d’Orsay côté faste. (Vous n’avez pas idée de la fourmilière, en grande partie souterraine, que représente le Quai d’Orsay côté employés. Il faut ainsi un bon quart d’heure pour aller de la porte de service, rue Robert Esnault-Pelterie, au Bureau des traducteurs.)

 
Lors de ce dîner il y eu comme une sorte d’incident diplomatique. Je fus peut-être le seul à en apprécier l’exquise ironie. (Vous allez comprendre, puisque j’ai gardé l’invitation en souvenir.)


 
Et ne me demandez pas d’en traduire le sens depuis le langage diplomatique vers la langue des hommes.
 
Je n'ai vraiment rien d'un diplomate.

 
Je suis traducteur d’oukraïnien.




Je traduis les Neprosti de Taras Prokhasko.

Переклад українською/En oukraïnien :
 life.pravda.com.ua

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