Le « général tsariste » Petlioura et
les KGBistes « ukrainiens »
Tous les chemins ne mènent pas un Ukrainien à
Rome, loin s’en faut : mais, comme on le voit, n’importe lequel d’entre
eux mène au sujet des relations entre Juifs et Ukrainiens. Après la présentation
à la presse du film documentaire De la
Petite-Russie à l’Ukraine produit par FR3, et tourné au printemps 1990 par
le groupe marseillais Vidéo-13, le groupe parisien La Parole errante, le
cinéaste moscovite J. Pasternak et moi-même, l’un des critiques présents m’a
très sérieusement reproché de n’avoir pas montré de pogromes. Mais il n’y en a
pas eu pendant le tournage du film. Ni avant. Ni après. Il y eu, au contraire,
des manifestations de soutien réciproque entre Juifs et Ukrainiens. Nous les
avons filmées, sans penser que quelqu’un allait réclamer des pogromes.
Comme me l’a expliqué un jour un éditeur
français, il ne voulait pas toucher au sujet de Petlioura, craignant d’être
pris entre deux « paranoïas nationales ». On ne saurait pourtant
éviter de parler de ce sujet, surtout en France, où Petlioura a été assassiné,
où un tribunal parisien a relaxé son meurtrier tchékiste, où des organisations
juives ont cru pour diverses raisons que ce meurtrier, Schwarzbard, était un
justicier et un héros national, et où, enfin, fut créé le mythe noir de Petlioura
et de l’OuNR... C’est en se référant à ce mythe que l’homme de la rue distingue
les Ukrainiens des Russes. Est-il possible de lutter contre le mythe
anti-ukrainien ? Autant qu’il est possible, sans doute, de lutter contre
le mythe antisémite...
Un jour, une Ukrainienne et moi parlions avec
notre grand ami N. de la Kabbale. Il fit allusion au nom de Petlioura en
passant, mais, se souvenant de notre nationalité, il changea délicatement de
sujet. Nous lui avons néanmoins demandé de nous raconter ce Petlioura-là. Il s’est avéré que ce dernier était
un général tsariste, devenu hetman après la Révolution, et qu’il organisait de
terribles pogromes. Notre Petlioura n’avait
rien à voir avec le sien. Avant la
Révolution, il fut journaliste, de tendance sociale-démocrate. Après la
Révolution, il prit part au gouvernement socialiste
de l’Ukraine. Après le coup d’État du hetman Skoropadskyi, il prépara et
dirigea la révolte contre ce dernier et les Allemands. Selon certaines
informations, il aurait été franc-maçon... Il faisait fusiller les pogromistes,
« Si vous avez tort sur tous les autres points, lui dis-je, peut-être
serait-il utile de chercher une information plus scientifique sur le sujet des
pogromes ? » Mais où l’aurait-il trouvée ? Pas dans les
dictionnaires. Simone Signoret, répondant à l’« Encyclopédie de l’Ukraine »
de Sarcelles, a suggéré fort à propos de contester le Petit Robert au sujet de Petlioura. Mais lorsqu’on sait que le Petit Robert ne se sert même pas de l’encyclopédie
israélienne, qui traite le sujet de Petlioura de façon plus scientifique que
les ouvrages de référence français... (D’une manière générale, la mythologie
anti-ukrainienne est bien moins répandue en Israël qu’en France. Peut-être
parce qu’il s’y trouve davantage d’émigrés ukrainiens récents ?) L’édition
anglaise de l’encyclopédie ukrainienne existe depuis plusieurs années, mais
notre diaspora n’a pas réussi à obtenir la parution de la version française –
bien que la rédaction de cette encyclopédie se trouve en France. Quant aux
journalistes, vu le niveau de leur « science historique », que
peut-on attendre de leur part ? Les uns écrivent que la capitale de l’Ukraine
est Kharkiv ; d’autres, depuis l’indépendance, ont déménagé l’Ukraine
elle-même en Asie centrale...
Hélas, non seulement on ne connaît pas la
véritable histoire de ce pays, mais souvent on ne veut pas la connaître. Lors d’une
conférence de presse, mon épouse soulignait le fait que le KGB s’est montré
particulièrement féroce envers les Ukrainiens. (Un dicton dit : « Quand
on coupe les ongles à Moscou, à Kiev on sabre les doigts. ») Elle parlait
par ailleurs de l’antisémitisme du parti et de L’État soviétique. L’un des
journalistes présents, qui comprenait bien le russe, a commenté ses propos dans
l’esprit de la mythologie anti-ukrainienne : « Ce sont les
KGBistes ukrainiens qui sont les plus féroces. Ils sont antisémites. »
Leonid Pliouchtch, Ukraine : A nous l’Europe !
Traduit de l'ukrainien par Maria Malanchuk
Du Rocher, Monaco, 1993, pp. 22-24
Traduit de l'ukrainien par Maria Malanchuk
Du Rocher, Monaco, 1993, pp. 22-24
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