Honte à moi ! Avoir confondu le merveilleux
Piotr Rawicz (l’« auteur-Gallimard ») avec l’admirable Emmanuel Raïs !
Pour me faire pardonner, si cela est possible, je
vous propose ci-après une lettre d’Emmanuel Raïs
à Martin Buber. Elle est datée du 14 février 1947.
Cher Monsieur le professeur, voici encore quelques détails concernant votre
voyage parisien.
1) Bachelard a obtenu du recteur que vous fassiez à la Faculté des Lettres
vos trois conférences sur le mystère de la souffrance et sur l’idée
fondamentale du chassidisme. Il croit que vous aurez un beau public d’étudiants
et de spécialistes. Il conseille aussi de donner à la conférence sur le
chassidisme un sous-titre explicatif.
2) En plus, selon son conseil, je me suis adressé à Jean Wahl, professeur
de philosophie à la Sorbonne qui vous connaît de Pontigny – homme très proche
de vous d’après ses vues – lui-même élève de Jacques Gordin. Il vous prie de
faire 2 conférences (si possible) dans une très intéressante «association
philosophique» qu’il dirige, sur un sujet de votre choix, en français si
possible, concernant le judaïsme. Le point de vue du judaïsme, selon vous, sur
tel ou tel autre problème.
3) M. Bachelard pense que votre arrivée à Paris est trop tardive – les
étudiants étant trop occupés par les examens à cette époque. De toute façon,
tant lui que M. Jean Wahl vous prient de préciser le temps de votre séjour à
Paris pour qu’ils puissent préparer l’auditoire. C’est pourquoi je vous prie de
m’écrire, sans beaucoup tarder, le temps exact où vous entendez être à Paris.
4) Dans les milieux juifs – j’ai parlé de votre voyage à M. Fink – écrivain
et érudit hébraïsant et yiddish à Paris, dirigeant culturel sioniste le plus
important. Il voudrait s’occuper de votre séjour parisien et vous prie, si vous
pouvez, de faire 3 conférences à Paris pour le public juif : une dans le brith
ivrit(h) – groupe d’élite d’hébraïsants – sur un sujet de votre choix en ivrit(h),
une au centre culturel de la « Fédération des sociétés juives », si possible en
yiddish, sinon en français, et une dans l’ « association des intellectuels
juifs de France » – devant un public mélangé de Juifs et de chrétiens, en
français. Il voudrait également, si possible, publier sur vous une étude dans
la revue juive de langue française « quand même » qu’il dirige. Mais il lui
faudrait pour cela vos œuvres suivantes : Zwiesprache, Die Frage an
den Einzelnen et votre ouvrage hébraïque sur la philosophie du chassidisme,
en n’importe laquelle des trois langues : hébreu, anglais ou allemand.
Il vous envoie – et je vous l’expédierai lundi (schabat (h)
s’approche) – quelques numéros de la revue hébraïque machberot(h) qu’il
a fondée et qu’il dirige, en même temps que le livre promis de M. Léon sur la
conception matérialiste de la question juive et que le dernier numéro du «
quand même » – le seul que je possède à cause d’un article que j’y ai inséré
sur la discussion d’un problème d’art juif qui a eu lieu ici – pour vous en
donner une idée.
Les articles des machberoth(h) qui lui semblent les plus intéressants
pour vous, il les a marqué au crayon tantôt sur la couverture tantôt dans le
texte.
D’une façon générale, j’ai l’impression que l’intérêt pour vous est très
grand et que vous risquez davantage d’être submergé par trop de demandes de
conférences que par trop peu. C’est pourquoi, contrairement à mon intention
première, je n’ai parlé de votre arrivée qu’à un petit nombre de personnes très
qualifiées comme Bachelard, Wahl ou Fink.
Les livres dont M. Fink a besoin pour son étude – il vous prie de les lui
expédier le plus vite possible pour qu’il ait le temps de les étudier et
publier l’étude sur vous avant votre arrivée.
En même temps je vous prie de préciser la date la plus exacte possible de
votre arrivée à Paris.
Je reste à votre disposition pour tout autre enseignement ou démarche que vous désireriez.
Je reste à votre disposition pour tout autre enseignement ou démarche que vous désireriez.
Bien dévoué à vous
Source : Dominique
Bourel, « Martin Buber et
la culture française », Bulletin du Centre de recherche français à
Jérusalem [En ligne], 18 | 2007, mis en ligne le 09 mars 2009, URL
: http://bcrfj.revues.org/107
M. Bourel précise que Emmanuel Raïs est né en 1909
et mort en 1981, et qu’il était critique et essayiste.
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