... puisqu'à cause d'elle on tue les poètes.
Ossip Mandelstam
La manifestation peut-être la plus remarquable de la
culture ukrainienne est sa littérature et surtout sa poésie.
Emmanuel Raïs, 1966
Première partie
S'il s'agit d'une âme unique, l’autre terme doit l’être pareillement - un. "Les Ukrainiens" doivent être ici compris comme le peuple oukraïnien. Image anthropomorphe. Un peuple avec un corps ; un esprit ou psyché ; et une âme. Une peau : ses frontières. A l'Est - blessure ouverte, douleur cuisante, quotidienne. Douleur sourde, lancinante - la Crimée.
Attention - nous allons en reparler - cette image anthropomorphe est aussi utilisée par Raphaël Lemkin.
Mais d'abord voyons sur quelques cas, trois ou quatre, ce qu'il en est de l'âme individuelle oukraïnienne.
Mykola Hohol (ou Nicolas Gogol), l'homme à l'âme informe. Regard extérieur et hostile : Tyoutcheff, Tolstoï.
Taras Chevtchenko, l'homme souverain et l'âme d'un peuple. Regard extérieur et bienveillant : Jabotinsky.
Pavlo Tytchyna, l'homme qui a mangé son âme. Regard intérieur et horrifié : Stous.
Seconde partie "Les Ukrainiens ont-ils une âme ?" : Vony pytayout tchy iest ou nas koultoura.
Le Français doit parcourir un très long chemin pour venir à la rencontre de l'âme oukraïnienne. |
Triangle de la surdité française.
"Allo Moscou ? Ici Paris. Comment ça va à Kieff ?" ; "Puisqu’il nous revient de parler de l’Ukraine, puisque l’actualité l’exige, je ne pouvais mieux faire que d’inviter ... un historien majeur de l’univers russe." ; Service russe de la BnF, etc.
Russophilie pathologique, malsaine
VGE, 1993, Edourad Heriot, 1933.
Quadrangle des relations franco-oukraïniennes. Paure pople de Prouvènço
A quand la Révolution de la Dignité Occitane ?
...
A l’escolo te derrabon
Lou lengage de ti grand
E toun desounour acabon,
Pople, en te desnaturant.
Di vièi mot de toun usage
Ounte pènses libramen
Un arlèri de passage
T’enebis lou parlamen.
Oukaz d'Ems, 1876
...
Toun Istòri descounèisson,
Te la conton d’à rebous ;
E te drèisson, te redrèisson
Tau qu’un pople de gibous.
Te fan crèire que sa luno
Briho mai que toun soulèu,
E toun amo s’empaluno,
Aplatido em’un roulèu.
Te fan crèire que ti paire
N’an jamai rèn fa de bon
E, reguergue à l’usurpaire,
Jamai res que ié respond !
...
(Les Oukraïniens si impatiens d'avoir leur premier prix nobel de littérature (Jadan ? Prokhasko ? Zaboujko ? Androukhovyth ? Peut-être Izdryk ? Et pourquoi pas Lycheha ? Ou Kalynets ?) oublient qu'un poète l'avait reçu un an avant d'écrire ces paroles de haine, ce beau poème de nationaliste oukraïnien. Et comment stigmatise-t-il les renégats, les hugos, les gogols : Li rasclet, li margoulin,/ Que mespreson vuei si rèire.)
Congrès d'Archéologie de Kyïv, 1874 ; le voyage de Drahomanov, 1875 ; le Congrès littéraire de Paris, 1878. Mutisme hugolien. De nouveau Hohol/Gogol : Belli et Jasmin.
Jamai res que ié respond
Un slogan capable de réunir toutes les institutions oukraïniennes qui existent en France. Indigne représentation de la Révolution de la Dignité. Le dire en oukraïnien.
Création du Prix Kaléna
Qui récompensera la meilleure traduction de la poésie oukraïnienne en français.
Les Ukrainiens ont-ils une âme ? Oles Pliouchtch mène l’enquête…
RépondreSupprimerUne rencontre organisée à la Bibliothèque Ukrainienne
par Oksana Mizérak, responsable du Club littéraire ukrainien.
Ce samedi 26 novembre 2016, la petite salle de la Bibliothèque Petlioura était pleine : qu’allait répondre Oles Pliouchtch à cette intéressante question : le peuple ukrainien existe-t-il ? Si oui, quel rapport entretient-il avec son âme ? Et puis, à quoi sert un poète ? Trois grands écrivains et poètes ukrainiens furent alors convoqués pour témoigner: Gogol, Chevtchenko et Tychina.
Nicolas Gogol (1809-1852)
« Ecrivain russe d’origine ukrainienne né en 1809 dans le gouvernement de Poltava, Empire russe... », dit le dictionnaire. Donc, écrivain « petit-russien » car dans l’Empire russe de cette époque, écrire en ukrainien ne se conçoit pas. D’ailleurs, Gogol affirme : « Nous autres petits-russiens et russes, nous devons avoir notre poésie en langue russe qui enseigne les vérités éternelles de la Russie ».
Pourtant, Tolstoï lui fait remarquer : « Dans Les Âmes mortes, vous représentez les petits-russiens agréables et les russes désagréables ! », et Gogol de renchérir : « L’âme des Ukrainiens est incarnée dans Tarass Boulba ». Peu avant de mourir Gogol s’interroge encore : « Mon âme est-elle russe ou ukrainienne ? Je ne sais… chacune d’elle contient ce que l’autre n’a pas…»
Gogol a trahi ses origines, conclut O. Pliouchtch. Et pour cacher sa félonie, il s’est inventé une âme double. Voilà pourquoi Gogol détestait Chevtchenko.
Tarass Chevtchenko (1814-1861).
Ce fils de serf, serf lui-même, persécuté par le régime tsariste et qui passa une grande partie de sa vie en prison ou en camp, connaissait lui aussi parfaitement la langue russe ! Or il décide d’écrire dans la langue des illettrés, la langue des humiliés, la langue des moujiks…
Chevtchenko ! Poète, peintre, humaniste ukrainien qui marque le réveil national du pays au XIXe siècle, immense poète que certains Russes ont cru facile de s’approprier l’œuvre en falsifiant ses mots, en frelatant ses rimes, en russifiant sa langue ! Mais on ne russifie pas la langue des moujiks car elle porte l’âme du peuple ukrainien.
Grâce à Chevtchenko, la langue ukrainienne que l’on considérait jusqu’alors comme un dialecte de rustres sera bientôt la langue de la culture et du réveil national.
Pavlo Tychina (1891-1967)
Sur ce chemin d’une poésie nationale ouvert par Chevtchenko, Tychina, « jeune poète miraculeux » fit entendre sa voix. Imagination et sensibilité sont les ailes du symbolisme qui caractérise ses premiers recueils. Mais Tychina ne chantera pas librement très longtemps…seul poète de la Renaissance Fusillée à survivre, peu à peu rongé par la peur, Tychina met sa plume au service de Staline, et, de compromissions en trahisons, perd peu à peu son âme.
L’âme d’un peuple réside dans la langue que parlent ses paysans, ceux qui de génération en génération cultivent leur terre, et l’aiment et la défendent. On comprend pourquoi parmi les écrivains de la Renaissance Fusillée, tant de poètes disparurent au Goulag…
Il faut faire connaître l’Ukraine en France ! Aujourd’hui, on trouve encore trop peu de traductions françaises de poètes ukrainiens, et rien à la Bibliothèque Nationale, comme si une main était passée pour éliminer certains ouvrages, ainsi cette traduction de 1911 de Chevtchenko qui aurait dû normalement s’y trouver… Mais traduire n’est pas décalquer. Il s’agit de recréer l’œuvre avec fidélité, trouver en français les équivalents lexicaux, syntaxiques, rythmiques, rhétoriques ou culturels qui sonneront en harmonie avec le texte originel. Traducteur lui-même, Oles Pliouchtch s’y emploie.
Pour terminer, Oles Pliouchtch a annoncé la création d’un Prix KALENA de la meilleure traduction de l’Ukrainien en Français.
MF Clerc