dimanche 5 août 2018

Sentsov, 84ème jour de la grève de la faim

[The time is running out]
84 дні як увімкнув зворотній відлік своєї пекельної машини "терорист" Олег Сенцов.
"Ми просто йшли, у нас нема зерна неправди за собою."

De Lessya à Irena.
Les Oukraïniennes directement en français

Lessya Oukraïnka, Petit poème en prose, dédié aux poètes et artistes français, octobre 1896 
Irena Karpa, C’est le silence qui tue.3 août 2018


Grands noms et grandes voix ! De leur bruit sonore l’univers retentit !.. Certes, la faible voix d’une esclave qui chante n’aura pas la gloire d’attirer l’attention de ces grands demi-dieux à la tête couronnée de lauriers et de roses. Mais nous autres, pauvres poètes des cachots, nous sommes habitués aux chants sans échos, aux prières inexaucées, aux malédictions vaines, aux larmes inconsolées, aux gémissements sourds. On peut tout comprimer hors la voix de l’âme, elle se fera entendre dans un désert sauvage si ce n’est dans la foule ou devant les rois. Et le front qui n’a jamais connu de lauriers n’en est pas moins fier, n’en est pas moins pur, il n’a pas besoin de lauriers pour cacher quelque opprobre. Et la voix qui n’a jamais éveillé l’écho d’or n’en est pas moins libre, n’en est pas moins sincère, elle n’a pas besoin de célèbres interprètes pour se faire bien comprendre.

Or, laissez nous chanter, le chant est notre seul bien, on peut tout comprimer hors la voix de l’âme.

Honte à la lyre hypocrite dont les cordes flatteuses remplissaient d’arpèges les salons des Versailles ! Honte aux incantations de la nymphe perfide qui du chaos des siècles évoquait les ténèbres ! Honte aux libres poètes qui devant l’étranger font sonner les anneaux de leur chaînes librement mises ! L’esclavage est ignoble d’autant plus qu’il est libre. Honte à vous, comédiens, qui des lèvres sacrilèges prononciez le grand nom de Molière qui jadis de son rire mordant rongeait l’affreux colosse érigé pour la France par le feu Roi-Soleil. Le fantôme de ce Roi, si pâle à la veille, a rougi de joie à l’accent de vos chants dans la ville de Paris, cette ville régicide dont chaque pierre dit: à bas la tyrannie ! Malheur aux vieilles villes dont les pierres moisies, les lanternes rouillées et les places étroites sont de grands orateurs et ne savent pas se taire…

Bons Français, emmenez notre roi plus loin de cette ville des spectres, à Chalons, Trianon, n’importe où, mais plus loin, parce qu’ici dans les chambres d’Antoinette et de Louis, les mauvais cauchemars peuvent troubler son repos après tant de triomphe, après tant de victimes qui jonchaient le chemin de son char de César qui passait sur les morts. Est-ce en vain qu’après votre alarmante «Marseillaise» on chantait le refrain d’une suprême angoisse: «Dieu, sauvez le roi !»

Bâtissez bien le pont pour joindre les peuples, qu’il ne soit pas moins solide que ces vieux ponts royaux à Paris, à Moscou. Ceux-là ont bien soutenu la danse effrénée de la foule déchaînée animée par la haine, éclairée d’incendie. Ayez soin que votre pont ne s’écroule pas bien vite pendant un de ces jours de grands bals populaires, guerres ou révolutions, ces brillantes mascarades !

Grands poètes, grands artistes! quel sera votre beau masque couvrant vos faces célèbres pendant ces grandes fêtes ? Quel sera la costume, de quel siècle, de quel style, qui fera votre gloire dans ces «folles journées» ? Quant à nous, si obscures, inconnus maintenant que les grands de ce monde ne daignent pas nous voir, nous irons tous sans masque dans ces jours effrayants, car les masques de fer ne peuvent pas être changés en velours hypocrites.

Savez-vous, grands confrères, qu’est ce que la misère ? La misère d’un pays que vous nommez si grand ? C’est votre mot favori, ce pauvre mot «de grandeur», le goût de grandiose est inné aux Français. Oui, la Russie est grande, un Russe peut être exilé même aux confins du monde sans être expatrié. Oui, la Russie est grande, la famine, l’ignorance, le vol, l’hypocrisie, la tyrannie sans bornes, et toutes ces grandes misères énormes, grandioses, colossales. Nos rois ont dépassé les rois égyptiens dans le goût du massif, leurs pyramides sont hautes et bien solides, votre Bastille n’était rien auprès d’elles ! Venez donc, grands poètes, grands artistes, contempler la grandeur des nos fortes Bastilles, descendez des estrades, ôter vos cothurnes et venez explorer notre belle prison. N’ayez pas peur, confrères, la prison des poètes qui aiment la liberté, la patrie et le peuple n’est pas aussi étroite que les autres cachots, elle est vaste et son nom est célèbre - la Russie ! Le poète y peut vivre et même en sûreté, à condition seulement d'être privé de son nom ou bien alors privé de tout.

Vivez en paix, confrères, ornés de vos grands noms ! Et toi, Muse française, pardonne à la chanteuse, esclave privée de nom ! Je t’ai moins profané dans ma prose indigente que tes libres amis dans leurs beaux vers dorés !

La prisonnière russe


C’est pour ça qu’il faut parler et appeler les choses par leurs noms. La Russie est un régime autoritaire. La Crimée a été annexée par l’intermédiaire de l’armée russe et non pas “re-attachée ». Le criméen Oleg Sentsov est un cinéaste emprisonné pour son courage, ses convictions et ses actions humanitaires. L’accuser de terrorisme est un mensonge cynique. Emprisonner un réalisateur connu afin que tous te supplient de le libérer et se sentent impuissants … c’est pas bête, monsieur le petit-tsar.

Un des moments des plus marquants de cette année pour moi, écrivaine étrangère, s’est passé pendant le Salon du Livre. Quelqu’un a annoncé qu’Emmanuel Macron allait peut-être passer par le stand ukrainien. Tout le monde a pris un livre pour l’offrir au président : de Malevitch à l’histoire des Tatares de Crimée. J’ai pris la traduction française des récits d’Oleg Sentsov.

Mais la délégation présidentielle ne s’est pas dirigée vers nous. Le Président, son épouse, et madame la Ministre de la Culture, entourés des officiers de sécurité, des journalistes et, finalement, de tous les visiteurs cherchant à faire un selfie ou demander un autographe. Faire passer le livre dans ses conditions ? Impossible.

Le dernier espoir était de me faufiler comme un enfant dans cette forêt de jambes. Et c’est là où j’ai commencé à parler : “Il y a un réalisateur ukrainien emprisonné par Poutine à Sibérie. Oleg Sentsov. Il me faut absolument donner son livre à votre président”. - “Oui madame, on sait. Allez-y”. C’était un vrai miracle. La foule, qui me paraissait tout à l’heure infranchissable, prête à tout pour vivre son moment de célébrité, s’est transformée. Chaque paire d’yeux, chaque paire d’oreilles appartenaient à une personne humaine, emplie de compréhension et de compassion. Ils m’ont laissé aller jusqu’au bout. J’ai tendu le livre d’Oleg Sentsov au Président Macron. Il m’a promis son support pour Oleg.

Quelques heures plus tard, je sirotais mon vin avec quelques amis à la maison, encore dans l’excitation du moment. Mais à mesure que l’adrénaline baissait, je sentais l’amertume accroître. On fête quoi ici, à Paris, dans notre petite vie bourgeoise ? Et qu’est-ce qu’il fait lui, maintenant, dans la cellule de sa prison, en Sibérie ?

En regardant Le Procès par Askold Kurov, j’ai été choquée par la clarté du discours de Sentsov au moment de sa condamnation, par sa dignité et son calme, son ironie et même sa clairvoyance par rapport au futur de l’Empire du Mal.

Le 14 mai 2018 Oleg Sentsov a entamé une grève de la faim.

Encore un fait à souligner : il ne le fait pas pour sa libération personnelle, mais pour celle des centaines des prisonniers politiques du régime de Poutine.

Oleg ne s’alimente plus depuis déjà 82 jours. Sa vie s’en va petit à petit, mais son esprit est plus fort que jamais.

Mec, t’es vraiment mon héros. Qu’est-ce que je voudrais te rencontrer en Liberté.

#freesentsov

Irena Karpa, écrivaine ukrainienne

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Et encore un peu de bavardage. Plutôt que de faire toutes ces pétitions, faisons des suppliques. A l'image de M. Lemaïtre. Suppliquons ! Faisons suppliquer nos amis et nos proches ! Viens suppliquez avec nous !

La Nouvelle Dissidence est-elle un écologisme ?

Recyclage de suppliques chez les nouveaux dissidents semble montrer que oui.

Французский голос в защиту Сенцова второй свежести






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Courrier en instance 
il faut songer à faire un accusé de réception la prochaine fois. Deux mois aujourd'hui, 84ème jour de la grève de la faim de Oleg Sentsov, 5.06 - 5.08, la lettre a dû se perdre.


Lettre entre-ouverte du 5 juin 2018 à Mme la Ministre. Qui depuis a fait chevalier des arts et des lettre Kirill Serebrennikov.

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