lundi 1 août 2016

Lessya Oukraïnka : 120 ans depuis la naissance du dramaturge

hommage inachevé à l'auteur de Ekbal Ganem
Lessya Oukraïnka
1871 - 1913

103ème anniversaire de sa mort aujourd'hui. Cent trois ans sans Lessya, pour reprendre le mot de Youry Androukhovytch à propos d'une autre ombre oubliée.
Bien sûr Lessya Oukraïnka est poète avant tout. Dès les premiers vers. Dans la langue interdite comme le dit si bien Andry Swirko, le prolétaire ; dans la langue  proscrite par l'Oukase d'Ems* quatre ans plus tôt, "la poésie est révolte"... Et le poète n'est rien sinon subversif. 
(Je parle là d'une fillette de neuf ans.)

Poète reconnu, Lessya Oukraïnka l'est dès le premier recueil, publié à Lviv, Empire austro-hongrois, ovationné par Ivan Franko... et aussitôt interdit par la censure impériale russe, le 10 août (29 juillet) 1893.


1896 est l'année de la Blakytna troïanda, la Rose bleue, le premier drame psychologique du théâtre oukraïnien et la première pièce de théâtre de Lessya Oukraïnka.  "Il est bien certain que la Rose bleue manquait au répertoire des troupes oukraïniennes, mais il manque hélas aussi de bons acteurs pour jouer la Rose bleue." Suivront quelques "chefs d’œuvre du théâtre européen", mais Lessya Oukraïnka gardera un faible pour cette première œuvre dramatique. Elle la traduira même en russe. Lessya Oukraïnka, poète, dramaturge, est aussi traductrice. Et folkloriste. Et féministe. Et militante révolutionnaire. Et certainement nationaliste oukraïnienne puisqu'en français tous les Oukraïniens le sont et elle est Oukraïnienne sui generis. УOuКkРrАaЇïНnКkАa

Le dramaturge oukraïnienne Lessya Oukraïnka est l'auteur de


Блакитна троянда (1896)


Іфігенія в Тавріді (1898)

Одержима (1901)

У полоні (Вавілонський полон, 1903)

На руїнах (1904)


Осіння казка (1905)

Три хвилини (1905) Trois moments

В катакомбах (1905)

В дому роботи, в країні неволі (1906)

Кассандра (1903-1907) Cassandre

Айша та Мохаммед (1907)

У пущі (1897-1909)

На полі крові (1909)

Йоганна, жінка Хусова (1909)

Руфін і Прісцілла (1906-1910)

Бояриня (1910)


Лісова пісня (1911)

Адвокат Мартіан (1911)

Камінний господар (1912) L’Amphitryon de pierre

Орфеєве чудо (1913)

Оргія (1913)


Oukraïnka à Cukurlar, Crimée, 1897
...La dernière pièce, L'Orgie, est une adresse à Volodymyr Vynnytchenko, la jeune star de la littérature oukraïnienne russe. Une adresse et même une menace de mort en quelque sorte. Que Vynnytchenko entendra en faisant le choix d'être romancier et dramaturge oukraïnien.


Et sera plus tard leader du Parti social-démocrate oukraïnien et chef du gouvernement de la République démocratique oukraïnienne. Et finira ses jours exilé politique en France. On y traduira un de ses romans, "Le Nouveau testament", Paris, 1949, mais aucune de ses pièces.


Oukraïnka et Vynnytchenko. Deux dramaturges. Deux sociaux-démocrates.

1896 est aussi l'année de la création du Groupe La social-démocratie oukraïnenne, dont Lessya Oukraïnka est l'initiatrice. Organisation illégale et par conséquent clandestine. (Manifeste du parti communiste, traduction de Lessya Oukraïnka, Lviv, 1902.)
Un autre membre éminent (mais pas très actif) du Groupe, l'auteur des "Chevaux de feu" et de "Il vient !", de "Sur le rocher" et de  "Fleurs de pommier", le "Chateaubriand oukraïnien", Mykhaïlo Kotsioubynsky.

Les intellectuels oukraïniens sont nécessairement "de gauche"**, "émancipateurs" selon le mot de l'époque. Le peuple dont ils se veulent les serviteurs est constitué de paysans. Les villes oukraïniennes sont étrangères. Les villes d'Ourkaïne que le prolétariat oukraïnien est en train de conquérir : "A nous la ville ! A nous le prolétariat !" lancera le "communard plutôt que communiste" Mykola Khvylovy lors de la "Discussion littéraire" de 1925-1928.
"A nous l'Europe !"
Oukraïnka sur le Maïdan

Chevtchenko, Oukraïnka, Franko, par #sociopath, Kyïv, 2014

- Mais c'est une bolchevique, votre Lessya Oukraïnka !


- Absolument pas ! Rouge sans aucun doute, "bolchevique" en aucune manière. Pour la bonne raison que les "bolcheviks" sont - avec les "mencheviks" - les deux fractions issues du Parti social-démocrate russe. Et ce dernier parti n'a été fondé que deux ans après la création du Groupe La social-démocratie oukraïnienne. L'oncle de Lessya, Mykhaïlo Drahomanov, avait été parfaitement clair à ce sujet des années plus tôt disant qu'il convient
de nous exclure non seulement des rangs du parti « socialiste-révolutionnaire russe », mais de tous les partis « russes ». Bien que né de parents « sujets de l’empereur russe », nous ne sommes Russe ni par notre nationalité, ni par le sol de notre action. Nous ne sommes pas Moscovite, mais Oukraïnien ; et puisque notre nationalité existe non seulement en Russie (où elle souffre du gouvernement et aussi, en grande partie, de l’intolérance de l’opinion publique par trop centraliste), mais aussi en Autriche-Hongrie, nous, dans notre travail pour notre peuple, nous nous appuyons autant sur le sol qui fait partie de la Russie que sur celui qui est en dehors de l’empire des tzars. Nous pouvons avoir des points communs avec certains partis « russe » en tant que notre travail pour notre pays l’exige, mais nous ne pouvons entrer complétement dans aucun parti « russe ». Du reste, ceux qui lisent les publications des révolutionnaires russes savent que nos opinions et même notre personnalité y sont très souvent attaquées, et quelquefois avec la même ardeur et les mêmes arguments que dans les organes des centralistes moscovites de l’école conservatrice. Le langage étroitement moscovites des publications révolutionnaires russes, leur peu d’attention pour les nations de l’empire autres que la nation russe (moscovite), enfin l’esprit de plus en plus jacobin et centraliste qui se manifeste dans les tendances des révolutionnaires russes (et qui est si naturel chez les fils d’un état dont l’histoire est si analogue à celle de l’ancienne France, et qui avait encore subi l’influence directe du droit byzantin et du despotisme tartare), tout cela nous oblige à opposer aux idées des révolutionnaires russes notre critique, qui est celle d’un socialiste-fédéraliste oukraïnien. Nous leur rappelons, de temps en temps, qu’il y a en Russie, en présence des quarante millions de Russes, d’autres peuples comptant au moins autant de membres, dont les intérêts ne peuvent être satisfaits, ni par une convention nationale russe à la française, ni par le Volkstaat centralisé que rêvaient les socialistes-démocrates allemands pour leur pays, plus homogène et dix fois plus petit que la Russie d’Europe.

La panthère noire et l'ours blanc
de Volodymyr Vynnytchenko
 portée à l'écran en 1921


- Lorsque l'on entend qu'en 2016 paraît la première pièce ukainienne en France, est-ce que cela veut dire que l’œuvre du dramaturge Lessya Oukraïnka est depuis 120 ans interdite, ou, en tout cas, inédite en France ?

Oui, bien sûr... Mais cependant non. Pas tout à fait.... D'une part, parce que l'aire francophone n'est pas limitée à la France intra muros... Et d'autre part, le prolétaire oukraïnien venu trimer dans les mines et les usines de l'Europe prospère... comme Nestor Makhno à Boulogne-Billancourt, oui... "Ne pas désespérer Makhno et sa juive"... Le travailleur émigré oukraïnien peut parfois faire beaucoup... beaucoup plus... pour faire connaître... J'en bafouille.
 
Andry Swirko était un mineur belge. L'entrée du dictionnaire encyclopédique devra commencer ainsi.

Andry Swirko travaillait à la fosse. En Belgique donc. Il y a pris racine, appris la langue, marié une fille d'ici. La mam'zèle de Wolf. Il lui a traduit Ivan Franko et Lessya Oukraïnka. Et publié ces traductions. Avec ses économies de prolétaire belge. Comme il est convenu désormais de considérer les traducteurs co-auteurs des œuvres traduites, oui, le théâtre de Lessya Oukraïnka a été publié dans les années mil neuf cent septante... à compte d'auteur.

Cassandre en 1973 et l'Amphitryon de pierre en septante quatre. Diasporiana.org.ua l'a récemment mis à disposition. Espérons que l'autre pièce soit elle aussi bientôt scannée et accessible. D'autant plus que lors de son dernier séjour à Paris, Oksana Zaboujko  recommandait chaudement de la traduire. Et je n'étais malheureusement pas présent ce jour-là au Centre culturel pour lui dire que c'était fait depuis longtemps.


- Est-il vrai qu'en annexe du doctorat de Mme Vitochynska à la Sorbonne il y a la traduction d'une pièce de Lessya Oukraïnka ?

C'est ce que dit Michel Cadot dans la préface à la "Petite histoire de la littérature ukrainienne", Paris, 1996. Dans la mesure où il s'agit de Olha Wytochynska. Voici précisément ce qu'il écrit : "Elle étudia et traduisit en français dans sa thèse de doctorat (1976) le beau drame de Lessia Oukraïnka L'amphitryon de pierre, que j'ai eu le plaisir de faire connaître à Jean Rousset : un extrait de la traduction de Mme Witochynska figure dans le livre sur Don Juan publié par J. Rousset en 1978."

P.S. (honte à moi !) Il existe une troisième pièce de Lessya Oukraïnka traduite (et publiée) en français (par Olha Jacura-Repetylo) : Trois moments. Ecrite pendant les événements révolutionnaires de 1905. Des bisbilles entre Girondins et Montagnards.
Le Girondin : (tristement) Cette pauvre terre envahie de crimes, inondée de sang, me fait vraiment penser que notre royaume n’est pas de ce monde.
Le Montagnard : C’est bien le moment ! Encore un miracle de Notre-Dame la Guillotine : Voilà que, face à elle, un Girondin troque son culte de la raison pour celui de la mystique.
Qui sait, Lavoisier lui-même, avait peut-être oublié toute sa science, au moment du dernier "pater noster"...
Le Girondin : Lavoisier est mort ? !
Le Montagnard : Et sur l’échafaud comme il se doit.
Le Girondin : Pauvre France !
Parue dans un recueil polyglotte aux Etats Unis : Lesia Ukraïnka in Translations. English, German, Spanish, French, Croatian, Portuguese, Italian, Philadelphie, 1988. 
Aimablement mis à disposition par Chtyvo.org.ua.

1896 ...

Lessya Oukraïnka : 120 ans de mépris pour la France méprisable 14.07.2016 

 

Oukraïnka par et sur Strong
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* "Oukase d'Ems", du 18 (30) mai 1876 interdisant notamment le théâtre en oukraïnien.
Cité dans Drahomanov "La littérature oukraïnienne, proscrite par le gouvernement russe", Genève, 1878 et dans tract Mazepa99, Paris, 1999


** La façon dont Tolstoï prononce le mot "Dieu", le ton douceâtre dont il use... me répugnent. Certains intellectuels parisiens prononcent ainsi "la Gauche".
Piotr Rawicz, Bloc-notes d'un contre-révolutionnaire, Paris, 1969.







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