dimanche 5 janvier 2014

«France Culture» toujours aussi franco-russe

Lessya Oukraïnka, 1896
 
France Culture a la bonne idée de rediffuser ce samedi matin le « Magazine de la rédaction » du vendredi. « Y a-t-il encore une Ukraine pro-russe ? »


ЄвроМайдан Донецьк

Eric Biegala : Quand on parle avec les gens à Donetsk, il est assez difficile, finalement, de trouver de véritables soutiens du Parti des Régions et du Président Yanoukovytch. J’en ai trouvé un moi, on l’entend dans le reportage, je l’ai mis – il y en a. Mais c’est difficile, c’est difficile de faire dire aux gens de manière spontanée « Et bien je soutiens le Parti des Régions », « Il faut qu’on aille vers la Russie ». C’est de plus en plus difficile.
Difficultés d’un journaliste français confronté à la réalité.





Et peu de temps après la question oukraïnienne fut de nouveau abordée – « Peut-on encore aimer l’Europe ? » par Alain Finkelkraut et ses invités des « Répliques ».



Jean-Pierre Chevènement : L’Ukraine est elle-même un pays divisé.
Alain Finkelkraut : Mais oui, c’est ce que j’ai dit.

Plus aucune difficulté.


Reprenons.


Magazine de la rédaction « Y a-t-il encore une Ukraine pro-russe ? »

 

Aurélie Kieffer : Alors là on voit très clairement un pays avec une fracture très impressionnante entre l’Est et l’Ouest...

Annie Daubenton : Alors là... effectivement... je ne serais pas tout à fait d’accord... D’abord cette fracture...
Eric Biegala : Très grossie... /?/
Annie Daubenton : Non, mais c’est normal... et je trouve le reportage aussi très intéressant d’avoir donné cet aspect-là des choses. Mai il faut pas oublier qu’on dit l’Est – Donetsk. Faut pas oublié qu’il y a Kharkov [il s’agit de la ville oukraïnienne de Kharkiv], qui est une ville universitaire admirable... et je dirai comme exemple tout récent ; c’est à Kharkov [Kharkiv] qu’on est en train d’organiser la réunion de tous les Maïdans de toute l’Ukraine. Et ça c’est organisé par le Maïdan de Kharkov [Kharkiv]. Donc cette vision très... clivante pour employer nos termes à nous, entre la capital, ceux-qui-foutent-rien et qui sont de gros paresseux qui rêvent et qui ont des idéaux et ceux, qui finalement, sont au charbon est quand même un peu disons caricaturale. Et puis l’autre chose, c’est que cette fracture était peut-être plus présente au moment de la Révolution orange. C’est-à-dire qu’il y avait d’avantage de... de... d’opinions... je dirais de poids de mentalité soviétique au moment de la Révolution orange qui se faisait sentir.
(...)
Et donc il faut souligner que lors des derniers scrutins et tous les sondages le disent : le Parti des Régions a pris, pour employer nos termes occidentaux, une claque phénoménale. On est à moins 30 % pratiquement dans tous les scrutins des dernières législatives. Et du coup ce clivage qui, disons, était territorial, mais, je ne l’ai jamais pratiqué dans l’analyse, mais on peut le dire, est devenu un clivage d’opinion. Et c’est ça qui devient beaucoup plus intéressant si l’on parle d’un Etat qui aspire à la démocratie.





Répliques de Alain Finkelkraut « Peut-on encore aimer l’Europe ? »

Jean-Pierre Chevènement : Il est trop facile de dire que l’Europe ce sont des valeurs, des normes, des standards que nous diffusons, etc. Non, l’Europe, ce soit être aussi une politique. Et une politique avisée qui se fera par exemple avec la Russie dans l’affaire de l’Ukraine. On a vue à la fin de l’an dernier un accord d’association avec l’Ukraine qui n’avait pas du tout été concerté avec la Russie. Il y a un partenariat orientale, il y a un partenariat de l’Union Européenne avec la Russie, mais ces deux partenariats sont menés séparément les uns des autres comme si l’on voulait opposer les uns aux autres. Or dans l’Europe du 21eme siècle nous devons non pas rallumer une nouvelle guerre froide, mais au contraire mettre l’accent sur ce qui peut rapprocher les peuples, et le peuple russe est un peuple européen.
Alain Finkelkraut : Oui, mais alors...
Jean-Pierre Chevènement : ... avec une grande culture.
Alain Finkelkraut : ... c’est un peuple européen, disant cela vous vous placez en contradiction avec un certain nombre d’auteurs des pas qui se sont trouvés aux marges de la Russie. Polonais ou Tchèques, par exemple. Ou même Roumains. Je pense à Cioran. Je pense à Czislaw Milosz dans son livre « Une autre Europe », où il dit « Non... Il y a... » Ou citons Joseph Conrad. Parlons de la différence de tempérament entre les uns et les autres. Et le cas ukrainien est très intéressant. Une partie de l’Ukraine se tourne vers l’Europe pour des raisons politiques, mais aussi civilisationnelles. Et une autre partie se tourne vers la Russie. Et le rêve de Poutine, c’est quand même de reconstruite quelque chose comme l’Empire. Puisqu’il l’a dit : « La destruction de l’Union Soviétique est la plus grande catastrophe du 20eme siècle ». Si nous prenons en compte ce qui se passe en Ukraine, ça nous amène aussi à nous poser la question « Qui nous sommes ? », « Qu’est-ce qui nous définit ? » ou « Jusqu’où vont nos frontières ? » Et vous intégrez un peu vite la Russie dans les frontières de l’Europe.
Jean-Pierre Chevènement : Permettez-moi de vous répondre. Se définir, oui. Mais pas forcement se définir contre. J’ai connu Cioran. Mais je suis loin de reprendre toutes les idées que Cioran a émises. Et je ne reprends pas sans examen toutes les idées qui peuvent être émises dans les pays baltes, en Pologne, en Ukraine... L’Ukraine, est elle-même un pays divisé.
Alain Finkelkraut : Mais oui, c’est ce que j’ai dit.
Jean-Pierre Chevènement : ...il y a une partie catholique, uniate, tournée vers la Pologne et les pays baltes. La Lithuanie notamment. Et puis une partie russophone. Et je dirais que depuis le 17 siècle la Russie va jusqu’au Dniepr [fleuve d’Oukraïne, le Dnipro]. L’Ukraine a été la première russie. Et penser que les relations entre la Russie et l’Ukraine ne sont pas déjà extrêmement étroites... Y’a 80 milles entreprises qui exportent de part et d’autre de la frontière. On veut vraiment substituer l’Union Européenne à... cette... interrelation qui existe. Ça peut se faire que très progressivement. Les Ukrainiens qui manifestent dans la rue évoquaient des sommes mirobolantes que nous serions prêts à déverser sur l’Ukraine. Je crois qu’on a vu ce qui donnait le premier élargissement. Et il me semble qu’il serait raisonnable de poser le problème de l’Ukraine en concertation avec la Russie qui d’ailleurs vient d’adhérer à l’OMC. Je pense que ça ne devrait pas être un sujet de friction.
Quant à Poutine. Je sais que l’anti-poutinisme est très à la mode. Et je ne reprends pas bien évidemment à mon compte tout ce que dit et fait Vladimir Poutine... mais il a interrompu... la... chute économique de la Russie qui avait perdu la moitié de son PNB. Et il lui a redonné une place dans les relations internationales qui est une place tout à fait estimable. Je ne parlerai pas de nouvel empire, la Russie n’en a pas les moyen. La Russie c’est 140 millions d’habitants, la Chine c’est 140 milliards [?]. Raisonnant à l’échelle du siècle, regardons comment ...  et croyez-moi, le développement de la Russie et de ses classes moyennes fera plus pour la démocratie que l’envoie des pèlerins de Artic Sun Rise, que nous prenons pour des missionnaires pieux.
Alain Finkelkraut : Mais je ne crois pas qu’il faille...
Jean-Pierre Chevènement : ...ou Khodorkovsky... pour un défenseur des droits de l’homme, c’est quand même un peu plus compliqué.
Alain Finkelkraut : Oui, mais...
Jean-Pierre Chevènement : ... disons qu’il avait mis la main sur toutes les richesses en hydrocarbures de la Russie dans les années 90. Bon, effectivement, c’est un problème.
Alain Finkelkraut : Non, mais c’que j’voulais dire c’est... je ne sache pas faire de l’antipoutinisme. J’pense que Poutine perpétue une Histoire, continue une Histoire, qui est celle de la Russie. Et cette Histoire se distingue, quand même, par beaucoup d’aspects de l’Histoire européenne.
 


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