lundi 20 novembre 2017

Ce soir à l' Odeon, Paris, Serebrienikov vs Sentsov


Soyez un peu attentif à ce qui se prépare ce soir au théâtre de l'Odéon. Un avant-goût nous est proposé par la radio franco-russe "France Culture", dont la Directrice animera le spectacle à partir de 20 h.
Petit rappel des faits.

Oleg (Oleh) Sentsov a été kidnappé par l'occupant russe pour avoir protesté contre l’Anschluss d'une partie du territoire oukraïnien (la presqu'île de la Crimée). Kidnappé, torturé, "jugé" et "condamné" à 20 ans de camps. Avec lui, dans la même affaire, furent "condamnés" quelques autres personnes, dont l'anarchiste Alexander (Oleksandre) Koltchenko. La "justice russe" prétendait juger un groupe terroriste d'extrême-droite oukraïnien : le "groupe Sentsov".

Oleksandre Koltchenko n'a jamais renié ses opinions anarchistes, mais la réalité de la guerre l'a obligée à devenir un patriote oukraïnien. De même Oleh Sentsov. Quelles qu'ait été vos opinions avant l'occupation, après l'occupation vous n'avez de choix qu'entre collaboration et patriotisme. Tertium non datur. Or "patriote" est précisément le contraire de "dissident"...

Kiril Serebrienikov était un metteur russe choyé par le pouvoir, un "bouffon du roi" parmi tant d'autres Russes méprisables. Lorsque la Russie a envahi l'Oukraïne, il a applaudi des deux mains : "Krym Nach*", criait-il, "hourra ! Vive Poutine le rassembleur des terres russes !"... Aujourd'hui il a quelques problèmes avec la "justice russe". Personnellement cela ne me fait pas plaisir : cela m'est totalement indifférent. On le dit "dissident" au régime de Poutine - peut-être. Le mot a servi à mal nommer le mouvement pour les droits de l'homme en URSS. Il a permis aux "intellectuels français" de croire que leur pensée était universelle. Aujourd'hui il permet aux "philosophes français" de faire l'amalgame entre un héros oukraïnien et celui qui hier lui chiait dessus, le dissident russe Serebrenikov.
* "La Crimée est à nous"
P.S. Le spectacle est payant : 6 ou 10 euros. Les cautions oukraïniennes seront Andreï Kourkov "Vmiesto" et le philosphe Volodymyr Yermolenko-Ogarkov. La sublime Mariana Sadovska est, à l’évidence, utilisée à son insu.





Au moment du verdict, Sentsov l'ukrainien, exemplaire de courage et de détermination, félicite le Kremlin pour sa propagande, revient sur l'expérience du Maïdan qui incarne la possibilité d'un renversement , et enjoint la population russe à ne plus avoir peur.
Le cas d’Oleg Sentsov nous rappelle, si nous l’avions oublié à la fois la gravité de ce qui se joue en Europe, et le rôle d’une nouvelle dissidence culturelle pour défendre la liberté d’expression, et la liberté tout court.
Car si la Russie a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme en 1998, dont l’article 10 stipule que « Toute personne a droit à la liberté d’expression », aujourd’hui des personnalités d’opposition, comme Boris Nemtsov sont assassinées, des journalistes et des ONG harcelés, des centaines d’artistes, d’entrepreneurs, et de militants emprisonnés de façon arbitraire.
Le metteur en scène Kirill Serebrennikov, icône de la résistance artistique face au Kremlin, a quant à lui été mis en résidence surveillée. Le motif cette fois, une accusation absurde de détournement de subventions.
Alors comment agir ? Et quel rôle peuvent jouer les artistes ?
D’abord mobiliser au niveau européen. Après le large écho rencontré par la pétition du metteur en scène allemand Thomas Ostermeier pour la libération de Kirill Serebrennikov, une pétition appelle aujourd’hui à la libération urgente d’Oleg Sentsov dont l’état de santé se dégrade. Ken Loach, Mike Leigh, Pedro Almodovar ou Wim Wenders s’étaient déjà engagés, il fallait continuer le mouvement. Arnaud Desplechin, Romain Goupil, Bertrand Tavernier et l'américain Frederick Wiseman sont parmi les signataires du monde du cinéma. Mais on compte aussi le philosophe slovène Slavoj Zizek, le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, le romancier et essayiste ukrainien Andreï Kourkov.


Pour mémoire certains sportifs avaient soutenu la révolution du Maïdan en Ukraine aux J.O de Sotchi, la fenêtre de l’Euro de foot organisée en Russie en juin/juillet 2018 constitue donc une occasion de faire pression, au moment où Vladimir Poutine aura sûrement été réélu pour un quatrième mandat.
Ce combat citoyen et cette solidarité culturelle européenne sont essentiels, mais se pose aussi la question d’un changement de positionnement artistique.
Comme le dit Andreï Kourkov qui a publié Le journal de Maïdan : « avant le Maïdan, les artistes ukrainiens essayaient toujours de rester en dehors des problèmes politiques et des questions sociales. Ils cultivaient l'art pour l'art. Maintenant, l'art est engagé… Une nouvelle génération d'artistes, d'écrivains, de poètes se politisent ».
Alors oui, il venu ou revenu le moment de croire que l’art, en dépit de l’écrasante oppression, peut et doit agir.
Le philosophe Michel Eltchaninoff également signataire et co-instigateur de cette pétition pour la libération d’Oleg Sentsov le montrait dans son livre « Les nouveaux dissidents » : si le despotisme revient dans les pays de l’ex-union soviétique, la dissidence que l’on croyait disparue à jamais fait également son retour. Un mouvement marqué par l’expérience collective du soulèvement dans la rue, mais aussi par l’engagement "artiviste" (l’activisme par l’art). C’est bien sur ces deux niveaux, l'Art et la Rue, que se mène le combat !

 Source / Джерело : France Culture (une radio franco-russe)
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