mercredi 21 octobre 2015

«Guerre de l'information», essai de triangulation

La guerre de l'information comme si vous y étiez. (Vous y êtes).
Trois points de vue : français, russe et "franco-russe"

Depuis le début de la crise en Ukraine, la Russie a déclenché une véritable « guerre de l’information ». Julien Nocetti, chercheur à ifri


Prenant acte d’un retour de l’idéologie dans les relations internationales, les dirigeants russes considèrent que leur pays est engagé dans une «guerre de l’information» à grande échelle : dépassant le cadre russo-ukrainien, celle-ci vise aussi l’espace postsoviétique et surtout l’Occident pris dans son ensemble (Etats-Unis, OTAN, Union européenne). Outre l’objectif de conserver l’Ukraine dans sa sphère d’influence, la Russie cherche à promouvoir sa propre lecture des relations internationales, fondée sur la dénonciation du déséquilibre des forces au profit d’une seule puissance au détriment d’un ordre multipolaire, ainsi que sur la réhabilitation des «valeurs conservatrices». La guerre de l’information est ainsi perçue comme adaptée à la situation dans laquelle la Russie pense se trouver vis-à-vis des pays occidentaux : ni paix, ni guerre ouverte, mais un état de conflit permanent qui nécessite l’emploi de moyens alternatifs afin d’affaiblir la volonté et la capacité de l’adversaire.


...Cette articulation entre les scènes intérieure et internationale exploite un savoir-faire ancien en matière de guerre de l’information et renforce des tendances déjà à l’œuvre. On y trouve notamment le développement d’un discours néo-impérial plus ou moins assumé (projet de Novorossiya), la création d’un ennemi intérieur (les «traîtres à la nation», la «cinquième colonne») et extérieur (l’«Occident décadent et corrompu»), ainsi que les potentialités nées de la globalisation (la constitution de réseaux médiatiques mondiaux, l’utilisation de la diaspora russe, etc.), que le web démultiplie de façon inédite. Propagande et désinformation prennent, via le numérique, une proportion dépassant de loin le théâtre ukraino-russe. Caisse de résonance à faible coût d’entrée, le web permet aussi le recrutement de volontaires et de financer l’effort de guerre des séparatistes dans le Donbass.

...Il convient de replacer la politique russe dans la continuité historique et d’analyser les nouveautés introduites par le web dans cette stratégie à la lumière des événements en Ukraine. La combinaison de ces outils informationnels a été suffisamment efficace pour imprégner durablement un certain nombre de mensonges lors de la crise ukrainienne, et pour diviser et décrédibiliser les décideurs occidentaux et leurs opinions publiques.

...Dans sa guerre de l’information en Ukraine, le Kremlin a été surpris par le manque d’enthousiasme des Ukrainiens russophones pour sa campagne médiatique contre le mouvement Maïdan et le gouvernement intérimaire à Kiev. L’intervention militaire russe dans le Donbass se serait donc révélée «nécessaire» en raison de l’échec à rallier suffisamment de forces pro-russes pour appuyer une «contre-révolution» entièrement ukrainienne. En ce sens, parler de guerre hybride russe contre l’Ukraine est erroné : il faudrait plutôt y voir une utilisation non planifiée de différents outils pour se conformer à des réalités opérationnelles diverses et parfois inattendues.

...Davantage qu’une campagne de propagande globale, taillée sur mesure pour la guerre hybride en Ukraine, les événements de Crimée et du Donbass illustrent plutôt l’évolution permanente de la stratégie informationnelle de la Russie. Il n’y a pas de différence fondamentale entre la pratique actuelle de guerre de l’information russe et les tactiques de désinformation utilisées par l’Union soviétique contre l’Occident dans la seconde moitié du XXe siècle. 

...La campagne de désinformation et de propagande revêt donc plusieurs aspects. Tout d’abord un dénigrement ciblé qui consiste  notamment à qualifier systématiquement le mouvement de Maïdan de «fasciste» pour réveiller la mémoire populaire de la lutte soviétique contre l’Allemagne nazie. Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a évoqué par exemple «les nazis qui continuent de marcher sur Kiev». En outre, les opérations de reconquête menées par le gouvernement de Kiev dans l’Est du pays ont été dépeintes comme une «guerre contre le peuple ukrainien». Poutine lui-même a comparé cette action militaire à celle de la Wehrmacht faisant le siège de Leningrad.

...Enfin, la stratégie informationnelle de Moscou est parachevée par la construction, promotion et légitimation d’un concept politiquement connoté : la Novorossiya, ou la «nouvelle Russie», qui illustre la façon dont une politique peut être appuyée par une stratégie de marque. Le 17 avril 2014, Vladimir Poutine explique que la Crimée ne fait historiquement pas partie de l’Ukraine. Le concept de Novorossiya est proclamé le 24 mai 2014 par le «gouverneur du peuple» Pavel Gubarev. Les «Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk» ont annoncé l’indépendance du nouvel État Novorossiya. Fin août, il lance un appel aux milices de Novorossiya, soulignant leurs succès contre la violence ukrainienne et appelant à la mise en place de corridors humanitaires. Dès les propos du président, la Novorossiya est déjà «imaginée» : les médias russes dévoilent des cartes de sa «géographie». Le web russe a aussi amplement relayé une longue file humaine à la frontière ukraino-polonaise, interprétée par les médias officiels comme «les Ukrainiens fuyant le fascisme», tandis que des politiques russes écrivent son «histoire» dans les manuels scolaires. Elle a un drapeau et même une agence d’information en cinq langues ainsi qu’un compte Twitter.

...S’il n’est pas aisé de contrer une campagne de désinformation soutenue et bien orchestrée, des réponses occidentales se précisent. En mars 2015, le Conseil européen a lancé un plan d’action sur la communication stratégique de l’UE, destiné à contrer les campagnes de désinformation menées par la Russie. 

Julien Nocetti, «Guerre de l'information : le web russe dans le conflit en Ukraine», Focus stratégique, n°62, septembre 2015


L'analyse de Julien Nocetti est confirmée, de l'autre côté de la ligne du front, par Valery Panov "La Russie s'oppose enfin à la pression informationnelle de l'Occident":

Еще в конце августа 2008 г. в Генштабе ВС РФ было заявлено, что Россия должна быть готова к глобальным информационным войнам. По мнению специалистов ГШ, в будущем победа в возможных войнах и вооруженных конфликтах будет достигаться путем уничтожения управления государством и вооруженными силами за счет информационных технологий. «На первый план выходят действия, результаты которых достигаются за счет технологического и, главным образом, информационного превосходства», — утверждали в Генштабе. Тогда хотелось поверить в то, что урок от начисто проигранной информационной войны во время грузинско-российского вооруженного конфликта пошел впрок. К тому же спустя шесть месяцев Генштаб уточнил, что полномасштабные войны в информационной сфере могут начаться в мире через два-три года. И для того, чтобы Россия была готова к ведению таких войн, Генштаб намерен разработать всеобъемлющую стратегию информационной защиты государства. В апреле с.г. командующий войсками Западного военного округа (ЗВО) генерал-полковник Анатолий Сидоров высказал мнение, что анализ действий США и их западных союзников показывает: против России проводится первая фаза так называемой гибридной войны и в этой фазе организуется умышленная дестабилизация внутриполитической обстановки политическими и экономическими мерами. Несколько позже министр обороны РФ Сергей Шойгу заявил, что средства массовой информации стали видом оружия. В мае этого года секретарь Совбеза РФ Николай Патрушев сообщил, что разрабатывается новая редакция доктрины информационной безопасности.
Ныне действующая доктрина была принята еще в 2000 г. и, разумеется, устарела. И я совершенно не случайно дал некоторую часть хронологии того пути, которым шла Россия к пониманию необходимости новой доктрины. И были еще на этом пути проигранные информкампании по сбитому под Донецком малайзийскому «Боингу», и по гражданской войне на Украине… Кстати, и в «грузинской», и в «боинговой», и в «украинской» кампаниях конца и края пока не видно. И сегодня совершенно не ясно, кто выйдет из них победителем.
Зато в сирийском конфликте и Генштаб, и МИД показали высший класс противодействия информационным атакам извне, и, похоже, на этом этапе «сражение в эфире» осталась за Россией. Но выиграть бой, даже десяток-другой боев, еще не значит, что и в войне будет достигнута победа.
Это в хрущёвские и брежневские времена американская пропаганда сдерживалась (но не останавливалась) «железным занавесом» и цензурой. Относительно малочисленные диссиденты были, в общем-то, вполне безобидны, часть их, как выяснилось позже, успешно сотрудничала с КГБ. Но «перестройка» открыла западным идеологам дорогу к «беззащитным» мозгам советских людей. Потребовалось всего несколько лет, чтобы в СССР началось массовое «брожение умов», Союз распался, новые российские власти фактически подчинились «добрым» американским советникам. Западная точка зрения на Россию, которую нам до того безуспешно пытались привить в течение нескольких сотен лет, стала практически официальной. СМИ — от Москвы до самых до окраин! — открытым текстом называли Россию варварской страной, которая должна стыдиться самого факта своего существования, посыпать голову пеплом и каяться, каяться, каяться… А нас за это пинали со всех сторон. В назидание и нам, и потомкам.

Et enfin sous la plume de Jacques Myard, le volatile, "La France dans la guerre de l'information"

Jacques Myard, La France dans la guerre de l'information, Harmattan, Paris, 2006, p.22

"Les méthodes employées par la Russie" - "sans intérêt". "En revanche, les Etats-Unis..."

Jacques Myard, La France dans la guerre de l'information, Harmattan, Paris, 2006, p.29

A noter que le "Bureau de Désinformation" a été créé au sein des services secrets bolcheviks par décision du Politburo du PC(b) de Russie du 11 janvier 1923. Le Bureau avait pour mission première "la composition et la réalisation technique de fausses informations et de faux documents ayant pour but d'induire l'adversaire en erreur" et "la réalisation d'articles de presse préparant à la diffusion de documents fictifs". 
Source fiable quasiment inaccessible : Лубянка. Сталин и ВЧК–ГПУ–ОГПУ–НКВД. Январь 1922 – декабрь 1936. Moscou, 2003. p. 73

Trois points de vue. Encore que l'ouvrage de Jacques Myard, notamment de part la qualité de l'auteur, ne soit sans doute pas tant un texte sur la désinformation qu'un texte de désinformation. Trop grosse la ficelle. Mais, à mon avis, pas sans intérêt pratique.

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