mercredi 31 décembre 2014

Bilan 2014 : Littérature oukraïnienne traduite en français


De la Librairie Oukraïnienne Ephémère
" l'intégralité des belles lettres oukraïniennes disponible en français "
le catalogue au 31 décembre 2014 se trouve à la fin de ce post





C’est une gageure que de faire le bilan de l’année 2014, l’année où l’Histoire européenne – et incidemment mondiale – s’est écrite en oukraïnien, une gageure de le faire en France, dans la langue sourde, la langue française, sourde depuis plus d’un siècle à la littérature, la culture, malentendante de la cause oukraïnienne.


Polonais imaginaire du côté de Saint-Nazaire
L’invasion russe, la guerre russo-oukraïnienne qui s’ensuivit, qui se poursuit et se poursuivra jusqu’à la défaite russe, ont donné lieu sinon à des prises de conscience, en tout cas à des collisions entre l’ignorance agressive dont se prévaut la France en matière oukraïnienne et l’Histoire de l’Europe en train de se faire – soudainement incompréhensible pour le Français.


« Comme tous les slavistes français, j’étais sans le savoir « impérialiste », c’est-à-dire que je ne me rendais pas compte de l’importance de la culture et de la langue ukrainiennes. » Le Monde (Paris), 23-24 mars.

Georges Nivat, « spécialiste des pays slaves ».

« Aujourd’hui je m’efforce de rattraper mon retard... A l’évidence il nous manque en français une histoire moderne et responsable de l’Ukraine, de sa culture, une anthologie de sa poésie. C’est une des raisons de la difficulté à comprendre la situation actuelle. » En mars 2014, le professeur émérite Georges Nivat découvre ses manques ou plutôt ses lacunes, les siennes et ceux des siens.
Parmi les pays gouvernés par le gouvernement du Kremlin, l’Ukraine est le plus peuplé, politiquement le plus puissant, et l’un des plus importants du point de vue culturel. Dans ce domaine, seuls quelques petits peuples de très vieille culture, situés à la lisière de l’empire, comme les Arméniens ou les Géorgiens, la dépassent.
On ne peut comprendre l’histoire et par conséquent la politique de l’est-européen, sans tenir compte du puissant facteur ukrainien. Ce problème ne date pas d’hier. 
Emmanuel Raïs, L’Ukraine, cette inconnue. Paris, 1966

« Je suis surprise qu’en France on parle de « séparatistes pro-russe », tandis qu’à l’évidence ce sont des militaires russes qui sont à l’œuvre dans le Donbass. Mais même dans les communiqués de l’administration du président Hollande il est question de « séparatistes » ». Iryna Slavinska interpelle Pascal Bruckner pour le journal oukraïnien « Oukraïnska Pravda ».
P. Bruckner : Nous employons la terminologie officielle. Cela s’est fait ainsi, c’est devenu un élément du langage utilisé par les médias.
I. Slavinska : Mais cela sert à cacher la vérité.


P. Bruckner : On ne se rend pas compte de la situation, et c’est caractéristique de l’attitude générale française – l’indifférence. Il y a très peu de gens qui se mobilisent pour l’Ukraine.

Et lorsqu’ils sont mobilisés...
« Bien entendu, la récente décision de la Rada d’abolir le russe comme langue officielle était une erreur stupide... » 
Bien entendu Georges Nivat a déjà rattrapé son retard, il n’a plus aucune difficulté à comprendre la situation : les parlementaires oukraïniens sont stupides, c’est évident à n’importe quel slaviste français.

Le problème est que, comme tous les slavistes français, comme la plupart des Français, non seulement Georges Nivat ne se rend pas bien compte de « l’importance de la culture et de la langue ukrainiennes », ne mesure pas à quel point il lui « manque une histoire moderne et responsable (sic!) de l’Ukraine », le problème est qu’il ne réalise pas l’étendu, la profondeur et surtout l’ancienneté de son ignorance. (« Adam Michnik écrivait, il y a vingt ans, que les Polonais avaient fait leur mea culpa vis-à-vis des Ukrainiens, que c’était au tour des Ukrainiens d’en faire autant pour la brutalité de leur Armée insurrectionnelle ukrainienne (l’UPA) levée par l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno, en 1918. »)

Le professeur émérite, élève retardataire et juge sévère de la politique oukraïnienne, connaît ce dont il parle avec tant d’assurance uniquement par ouï-dire.

Ecoutez cette même assurance condescendante, d’aucun dirait morgue, chez un Thierry Garcin  : « Il y avait une méconnaissance… - d’ailleurs ç’avait été frappant de voir dans la grande presse française – de l’histoire profonde de l’Ukraine… qui est – je parle sous votre contrôle – un pays… un peuple… on va dire un espace, qui est condamné à être bicéphale par la géographie, par l’histoire. »
(« Les enjeux internationaux », France Culture, 25.04.2014)

Un pays... un peuple... on va dire un espace...
(Ça vaut le coup d’être réécouté en podcast.)

Dans le tome XV – tome posthume – de son Grand dictionnaire universel du XIX siècle (1), Pierre Larousse (1817-1875) écrit : « UKRAINE, littéralement pays limitrophe, vaste contrée de la Russie d’Europe, embrassant les gouvernements actuel de Kiev, Pultava, Tchernigov et Kharkov. Cette belle province de l’Ukraine, qui couvre une surface beaucoup plus grande que la France, était il y a trois cents ans... »
1876, il y aura cent cinquante ans bientôt. Cependant qu’aujourd'hui, en 2014 tout un chacun peut consulter l’Encyclopédie Larousse en ligne (« Ukraine en ukrainien Oukraïna ») :
« Un peu plus grande que la France (c’est le plus vaste Etat d’Europe, Russie exceptée), mais un peu moins peuplée, l’Ukraine est un pays... »

« Un pays... un peuple... on va dire un espace... »
« Il y avait une méconnaissance de l’histoire profonde de l’Ukraine… » « …l’UPA levée par l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno, en 1918... »

Laissons là le terrain miné de l’histoire oukraïnienne et de sa méconnaissance française.
Parlons plutôt loisirs, parlons culture. Et comme le disait Emmanuel Raïs

La manifestation peut-être la plus remarquable de la culture ukrainienne est sa littérature.

L’Encyclopédie Larousse en ligne reprend l’article « Littérature ukrainienne » du Dictionnaire mondial des littératures de Pascal Mougin et Karen Hadded-Wotbing, Paris, 2012. Parmi les 37 auteurs mentionnés (« Ivan Kotliarevsky, Kvitko-Osnovianenko, Taras Chevtchenko, M. Vovtchok, P. Koulich, I. Netchouï-Levytskyï, P. Myrnyï, M. Kropyvnytskyï, M. Starytskyï, I. Karpenko-Karyï, I. Franko, L. Oukraïnka, O. Kobylanska, M. Kotsioubynskyï, P. Tytchyna, V. Sossioura, M. Rylskyï, M. Bajan, M. Khvylovyï, V. Pidmohylnyï, J. Janovskyj, M. Koulich, J. Mamontov, I. Kotcherha, V. Vynnytchenko, I. Bahrianyi, V. Barka, Lina Kostenko, I. Dratch, M. Vinhranovskyï, M. Symonenko, V. Stous, J. Androukhovytch, O. Irvanets, O. Zaboujko, I. Rymarouk, V. Herassymouk») le plus émérite des professeurs, l’académicien le plus cacochyme, comme le plus débrouillard des étudiants, trouvera au mieux dans la meilleure des librairies francophone possible les ouvrages de quatre de ces auteurs. Quatre sur trente sept.

Le Dictionnaire universel des littératures sous la direction de Béatrice Didier au PUF date de 1994 et recense 34 auteurs, mais ne va pas au-delà de la « nouvelle vague » des « ceux-des-années-soixante ». Il ignore donc Youry Androukhovytch (1960), dont deux ouvrages et demi sont actuellement disponible en librairie : Mon Europe (2004), Moscoviada (2007), Les 12 cercles (2009). Tous aux éditions suisses Noir sur Blanc (Lausanne) . Trois sur trente quatre.

Toujours hors de [la petite] Europe, la réédition en 2001 par l’Age d’homme (Lausanne) des « Chevaux de feu » (« Les Ombres des ancêtres oubliés ») de Mykhaïlo Kotsioubynsky (1864-1913), traduction publiée à l’origine, avec « Sur le Rocher », par la Première Imprimerie Ukrainienne en France en 1971. Miettes d’un recueil de nouvelles aux éditions Gallimard qui ne s’est jamais fait.

Stepovyk assure que « la littérature oukraïnienne » (« classique et contemporaine ») « trouve en France son lecteur bienveillant . » Ici sa témérité ne connait pas de bornes. Que le lecteur français soit bienveillant, il est facile de s’en convaincre en observant les voyageurs du métro parisien : utilisant les brèves instants de transport en allant et en revenant du travail, on le voit sortir un livre de sa poche. Quant à ce que la littérature oukraïnienne le rencontre de cela nous doutons fort. Parmi les classiques oukraïniens en traduction française, Stepovyk n’a parlé clairement que d’un seul : les poésies de Chevtchenko. A propos d’un autre – M. Kotsioubynsky – il s’est exprimé de façon vague, disant que Emile Kruba « a traduit en français quelques-unes de ses œuvres » ; ont-elles été édité – cela n’est pas dit et le fait est suffisamment parlant.

La prose du conteur Mykhaïlo Kotzioubynsky, comme la poésie lyrique de Lessia [Oukraïnka], avait aussi à traverser, à ses débuts, une zone d’aridité, due à l’influence populiste, dont la stérilisante tendance, obstinément sociale, menait vers une étroitesse provinciale. Mais vers la fin de sa vie, il a réussi ce chef-d’œuvre incomparable qu’est « Les Ombres des ancêtres oubliés », dont on a tiré un film, récemment projeté à Paris, sous le titre des « Chevaux de feu ». Certes, malgré l’accueil favorable dont cette œuvre a joui, elle ne donne qu’une idée très approximative de cette prose d’une sensibilité, d’une précision, d’une couleur et d’un pouvoir évocateur qu’on ne retrouve que chez les plus grands. Il ne me semblerait pas exagéré de désigner Kotzioubynsky comme le Chateaubriand de la prose ukrainienne.
Emmanuel Raïs, L’Ukraine, cette inconnue, 1966


Quant à la littérature c’est encore une « terra incognita ». Il apparaît clairement que l’aventure n’a pas tenté les éditeurs français. Depuis 10 ans aucun d’entre eux ne s’est arrêté sur un titre ou sur un auteur. Cela pose question : comment la France peux rester privée de ces témoins et vigies que représentent les écrivains ?
Bruno Guichard et René Martin, 1999 (2)


Les éditeurs français.
L’intérêt de ces derniers à l’endroit des belles lettres oukraïniennes depuis quinze ans.

Harmattan, collection Présence ukrainienne

« Maroussia » de Marko Vovtchok (1833-1907), sous la même couverture l’adaptation de J.P. Hetzel et la traduction originale de l’auteur ainsi qu’une étude sur l’œuvre et l’histoire étonnante de ses traductions. Chez l’Harmattan (Paris) dans la collection « Présence ukrainienne ». 2008.

« Maroussia » : Outre la grâce qu’on y respire, il court à travers les pages de ce livre un souffle patriotique, un air âpre et salubre qui ouvre l’appétit du sacrifice et du dévouement.
Jules Sandeau, Magasin d’Education et de Recréation vol XXIX, 1878

Lecture roborative pour le patriote français donc, et cela cependant que l’auteur, Maria Vilinska « préfigure l’apparition de la littérature féministe ukrainienne à la fin du XXe siècle. » comme le dit très justement Iryna Dmytrychyn, l’éditrice. Drôle d’histoire. Racontée dans la préface de ce livre. A lire.

Quatre sur trente sept. 
Androukhovytch, Kotsioubynsky, Marko Vovtchok – il en manque un.

... Il est pour moi dans la littérature en français un épisode inoubliable, le dénouement miraculeux de l'histoire de Boris, le héros du Sang du ciel. La victoire de l’intelligence et de l’amour sur les préjugés et la haine. Intelligence et amour littéralement salvateurs.
 

Houmeniouk leva les yeux sur Boris. Les dents serrées, il lança une question, tel un instituteur de village, aigri et mécontent par avance de la réponse de son élève :
- Quel est le plus grand poète ukrainien ?

C’est alors que le jeu commença à amuser Boris. Son cerveau travaillait comme il n’avait plus travaillé depuis longtemps :

Si un homme veut prouver qu’il est anglais et un Anglais qui a fait ses études, et si, à une question semblable, il répond : Shakespeare ou Byron, il n’aura rien prouvé. Evidemment : Tout le monde, sans être anglais, a entendu parler de Shakespeare et de Byron. Il faudrait au contraire, qu’il admette tacitement et qu’il fasse tacitement admettre par son interlocuteur, qu’il est inconcevable de lui poser une pareille question. Il faudrait qu’il mentionne tout de suite un Eliot ou une Edith Sitwell. Dans la même situation un Français, un VRAI Français, ayant fait ses humanités, ne saurait répondre : Ronsard ou Victor Hugo. De la sorte, il ne prouverait rien. C’est seulement en évoquant un Lautréamont ou un Milosz qu’il pourrait témoigner sinon de ses origines françaises, du moins de son degré d’initiation au domaine français. Eh bien, ce monsieur, en me demandant le nom du plus grand poète ukrainien, ne peut s’attendre qu’à un seul nom, un seul : celui de leur barde, Tarass Chevtchenko... Mais tout le monde ici, non seulement les Ukrainiens, mais aussi les Russes, les Polonais et les Juifs, vivant en Ukraine savent que ce chantre de la misère des serfs et de la fierté cosaque EST votre gloire nationale. C’est usé. En citant Chevtchenko je te ferais plaisir, mon bon Houmeniouk, mais je ne frapperais pas ton imagination et surtout je ne te prouverais rien. Il me faut, ou plutôt il te faut AUTRE chose.
Et Boris prononça le nom d’un poète d’avant-garde, mort depuis peu, à l’âge de vingt-neuf ans, son ancien ami, connu et aimé de deux cents lecteurs peut-être. Tel un Horace se proposant de transplanter les rythmes helléniques sur la glèbe d’Italie, cet homme, Ihor Hranytch, avait essayé de greffer des pousses surréalistes sur l’arbre de la jeune poésie ukrainienne. Mal lui en prit. Peu avant la guerre, il succomba à l’inévitable et proverbiale tuberculose pathétique dans la chaumière de ses parents. Leur désespoir était pesant, définitif, à la mort de ce fils élevé et instruit à coups de sacrifices et qui, selon les vœux de leur cœur, aurait pu faire un bon curé de campagne et peut-être même un évêque.
Piotr Rawicz, Le sang du ciel, 1961
Une véritable prise de conscience nationale du peuple ukrainien dans le sens moderne du ce terme, n’eut lieu que vers 1840, en la personne de son grand poète Tarass Chevtchenko, véritable fondateur, vrai père de son peuple.
C’est lui qui, pour la première fois, sut élever l’idiome de son pays au rang d’un langage littéraire et en même temps, y créer une œuvre poétique d’une valeur immortelle, que seule la rareté  des traductions, empêche d’atteindre une gloire universelle.
Depuis son apparition, la conscience nationale ukrainienne n’a cessé de grandir avec la puissance irrésistible des forces élémentaires de la nature, qui tôt ou tard surmontent tous les obstacles du monde, quels qu’ils soient.
Emmanuel Raïs, L’Ukraine, cette inconnue, 1966
Trois ouvrages (dont un paru cette année : Taras Chevtchenko « Testament », douze traductions françaises inédites réalisées par Dmytro Tchystiak. Publication qui est en même temps le fascicule numéro 5 des Etudes ukrainiennes transdisciplinaires de l’Institut culturel de Solenzara, Paris) sont aujourd’hui disponibles qui proposent des traductions de Taras Chevtchenko, peintre, poète, né en 1814 en Oukraïne, mort en 1861 en exil en Russie.

C’est que 2014 a été l’année du bicentennaire du "plus grand poète ukrainien".

" Il est bon qu’on le connaisse au moins vaguement en France. "
disait déjà Raoul Labry dans le Mercure de France

Car « c’est autour de son nom que se sont cristallisées les aspirations ukrainiennes. C’est à lui qu’à été consacré la première réunion des Petits-Russiens à Petrograd au lendemain de la chute de l’ancien régime. » Régime tsariste, l’article date du 16 juillet 1917.

Les aspirations oukraïniennes se sont en effet souvent cristallisées autour de ce nom : Jean-Bernard Dupont-Melnyczenko écrit à propos de la première organisation oukraïnienne en France, le « Cercle des Oukraïniens de Paris » :

Aussitôt après avoir mis en place les structures de l’Association et déterminé ses principaux buts, une première manifestation officielle ukrainienne est organisée. Il s’agit d’une soirée de célébration du fameux poète ukrainien Tarass Chevtchenko, le dimanche 21 mars 1909. Pour donner à cet événement toute la dimension culturelle désirée, un grand spectacle où se succèdent chants et déclamations de poèmes a lieu dans les Salons de la rive gauche. Le choix de cette première activité publique, qui apparaît ici comme essentiellement artistique et culturelle, ne doit cependant pas gommer un réel attachement des Ukrainiens de Paris à la cause nationale ukrainienne. L’association très étroite qui a toujours existé entre la revendication culturelle et la lutte nationale chez les intellectuels ukrainiens prend une fois de plus ici tout son sens. Cet engagement culturel et politique va se renouveler et s’amplifier lors de la commémoration, en 1911, du cinquantenaire de la mort de Tarass Chevtchenko.
Le 30 mars 1911, dans la salle de concert Pasdeloup, une importante manifestation ukrainienne a lieu, mais, cette fois, c’est le politique qui l’emporte sur l’aspect artistique. En effet, la partie politique du programme est nettement plus fournie que la partie récréative. Le Chœur des Ukrainiens de Paris ouvre le spectacle avec la déclamation mise en musique du Testament de Tarass Chevtchenko, puis la succession des discours achève de donner, si besoin était, un profond sens politique à la première partie de cette soirée. [...] Présentée par les Ukrainiens comme une étape et un moment importants pour la reconnaissance de l’identité ukrainienne, cette journée du 30 mars 1911 apparaît à tous les groupes nationaux de l’Europe orientale comme un événement politique majeur. Cette action revêt également un aspect unitaire et solidaire avec les Ukrainiens de Kyïv qui manifestent au même moment, pour les mêmes raisons : les Oukraïniens de Paris ont contribué à donner une couleur internationale à cette protestation de mars 1911 contre le pouvoir tsariste. (3) 



A propos du vocable oukraïnien Jean-Bernard Dupont-Melnyczenko dit
On peut remarquer le scrupule rigoureux de la translittération qui permet ainsi une prononciation beaucoup plus proche de l’ukrainien. Cette démarche est celle d’Ukrainiens qui s’adressent à un public français. La translittération internationale du y ukrainien en u gommera ensuite, en partie, cette première tentative de fidélité phonétique.

* * *


On aurait grand’peine à trouver dans toute l’histoire moderne quelque chose d’analogue à cette renaissance qui remue les couches profondes d’une nombreuse population, et l’on chercherait vainement ailleurs un poète à qui la foule ignorante, presque illettrée, rende ainsi les honneurs réservés, d’ordinaire, aux sanctuaires religieux ou aux saints...
Emile Durand, « Le poète national de la Petit-Russie », 1876 (4)

La manifestation peut-être la plus remarquable de la culture ukrainienne est sa littérature et surtout sa poésie. Elle peut intéresser le public occidental, même le plus blasé et le plus difficile, mais il lui faut trouver des traducteurs dignes d’elle.
Emmanuel Raïs, L’Ukraine, cette inconnue, 1966.

Les commémorations calendaires sont l’occasion majeure de faire connaitre l’œuvre poétique de Taras Chevtchenko. Ainsi à l’occasion du cinquantenaire de la mort, le « Cercle des Oukraïniens de Paris » non seulement organisera la journée d’hommage du 30 mars 1911 dont parle M. Dupont-Melnyczenko, mais publiera également un petit livre comprenant les traductions du « Testament », des extraits du grand poème anti-impérialiste « Le Caucase », le brûlot anti-tsariste « Le Rêve », « Hamalia », « La Nuit de Taras » et  « l’Epître ».

Pour le 125ème anniversaire – « Hamalia » traduit par Janus dans la revue « Promethée » et dans la « Commune » – « Peu m’importe », « À N.V. Gogol », un extrait du « Caucase » et le « Rêve », dans la traduction Charles Steber. (Charles, l’enthousiaste : « Il est bon, il est nécessaire que les Français puissent pénétrer l’âme de l’Ukraine. Lire Taras Chevtchenko serait assurément un excellent moyen d’y parvenir. Il complète Gogol. »)

« Fait singulier, toutes les tendances idéologiques et politiques françaises, depuis « Le Figaro » jusqu’à « L’Humanité » et aux « Lettres Françaises » en passant par « Le Monde », ne manquèrent pas de s’associer à la commémoration du 150ème anniversaire de Chevtchenko. » (5)

Deux recueils parus pour le 150ème anniversaire.

« Ce numéro spécial du Bulletin Franco-Ukrainien, consacré exclusivement à Taras Chevtchenko, à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de sa mort, constitue à ce jour le premier recueil publié sur ce poète en langue française.
Il a pu être réalisé grâce au concours du Comité Commémoratif du Cent-cinquanternaire de Chevtchenko en France et avec l’aide de nombreux jeunes traducteurs auxquels nous adressons nos sincères remerciements.
Malgré ses imperfections et ses lacunes, nous espérons que ce recueil contribuera à mieux faire connaître en France le grand poète national de l’Ukraine. (...)
Quant aux traductions, à l’exception de celles de F. Mazade, S. Borschak, R. Martel et Charles Steber, elles paraissent pour la première fois. (...)
Puisse ce modeste hommage à Chevtchenko contribuer à resserrer les liens qui unissent nos deux pays : la France et l’Ukraine. » (6)


Jeunes traducteurs... imperfections... modeste hommage...

Lorsqu’aussitôt réédité sous forme de livre « Taras Chevtchenko, 1814-1861. Sa vie et son œuvre », éditions P.I.U.F., Paris, 1964. Le professeur Joukovsky est moins modeste : « A cette occasion (l’anniversaire) la traduction d’une importante partie de son œuvre. »

Le second recueil de 1964 est le numéro 110 de la prestigieuse collection « les poètes d’aujourd’hui » de chez Seghers. 34 poésies de Chevtchenko traduites par Eugène Guillevic. Enfin... « aidé par W. Pelc ». Ne sachant pas un traitre mot d’oukraïnien le travail de traduction se fera « sur la base d’une version littérale procurée par la Commission nationale de l’Ukraine pour l’Unesco ». Proclamé après un tel exploit « spécialiste de Chevtchenko », Monsieur Guillevic rédigera la notice consacrée au poète dans l’Encyclopaedia Universalis : « Un serf, un autodidacte, un kobzar. Un barde, donc primitif, naïf. Un poète très loin de nous, tellement différent... Est-ce bien sûr ? Est-ce toujours vrai ? Certes, Chevtchenko est marqué par son époque, son esthétique est celle de son temps. On craignait moins alors les longueurs, les répétitions. Ce qui peut nous paraître lieu commun avait alors besoin d’être proféré. Et si la pensée ne nous paraît pas toujours claire, n’oublions pas qu’il y avait la censure. »

La version littérale fournie par la Commission nationale de l’Ukraine pour l’Unesco n’était à l’évidence pas très claire, abondante en longueurs, répétitions et lieux communs. Notons que les informations fournies par cette source sont tout aussi peu satisfaisantes : « On ne peut qu’être étonné par l’abondance de ses œuvres : de très nombreux poèmes, dont certains sont fort longs (des milliers de vers), deux romans historiques, une vingtaine de romans... »

En 1965, Marie Scherrer, maître de conférence à l’INALCO, faisait dans la Revue des études slaves le bilan de ces célébrations : « Si le nom de Chevtchenko est connu en France, si son rôle de guide inspiré de son peuple est admis par tous ceux qui s’intéressent au domaine slave, son œuvre, par contre, reste peu connue et les quelques traductions assez médiocres ne donnent qu’une idée imparfaite de l’envergure de son génie. »

Ecrivant l’année suivante la préface à l’anthologie jaune et blanche (La nouvelle vague) Emmanuel Raïs témoigne de son enthousiasme (et confirme la médiocre qualité des traductions apportées par le 150ème anniversaire) :
La manifestation peut-être la plus remarquable de la culture ukrainienne est sa littérature et surtout sa poésie. Elle peut intéresser le public occidental, même le plus blasé et le plus difficile, mais il lui faut trouver des traducteurs dignes d’elle.
Pour parer, dans la mesure de nos faibles moyens, à ce besoin, nous préparons en ce moment plusieurs publications anthologiques, comprenant diverses périodes et divers genres de la littérature ukrainienne.
Nous espérons, si nous réussissons à capter l’attention bienveillante du lecteur français, lui permettre de faire la découverte des principaux représentants de cette littérature (sauf Chevtchenko qui, à l’occasion de son récent centenaire [150e anniversaire], avait bénéficié de quelques publications, d’ailleurs insuffisantes, aussi bien quant à la quantité qu’à la qualité), tels Franko, Stefanyk, Larissa Kossatch, Dovjenko, Ianovsky (dont l’un des romans a été publié aux éditions Gallimard, mais traduit d’après une traduction russe), Katchourovsky, ainsi que les plus importants des poètes, tels Tytchyna, Rylsky, Klen, Malaniouk, Antonytch, Oljytch, ou Andievska, sans parler de beaucoup d’autres, dont l’héritage, en raison de la rigueur des temps, est parfois plus réduit, mais souvent, encore plus remarquable, tels Svidzinsky, Ploujnyk, Zerov ou Khvylovy.

... des traducteurs dignes d’elle... quelques publications... insuffisantes aussi bien quant à la quantité qu’à la qualité...

Dans la brochure éditée en 1969 à l’occasion de l’inauguration du square Chevtchenko à Paris, le prof. A. Joukovsky rapporte le regret exprimé dans le « Temps » du 21 juin 1876, de ce que « Chevtchenko n’ait pas trouvé de traducteurs dignes de lui, et que de ce fait son œuvre reste inconnue à l’étranger. » Regret dont l'écho se retrouve sous la plume de Michel Cadot, professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle, en 1996 : « Taras Chevtchenko (...) ce poète, qui reste largement méconnu en France malgré l’existence d’un square portant son nom boulevard Saint Germain à Paris. »

« Quelle est cette littérature ukrainienne dont on connaît si peu l’existence en France si ce n’est par ses figures les plus représentatives, Yvan Franco et Tarass Chevtchenko ? Ce fut là l’objet du débat houleux animé par Antoine Spire entre Evguenia Kononenko, Andreï Kourkov (écrivains de Kiev), Zoya Borissiouk (écrivain, critique littéraire) et la salle. »
Edgar Reichman, Quand le Dniepr fertilise la Drôme, Le Monde, 24 septembre 1999.
(C'était l'unique écho de la presse nationale française à propos des "Regards [méprisants] sur la culture ukrainienne".)
 
Oleksandr Tcherednytchenko adopte le style subjectif dans son article « Les études oukraïniennes dans le monde francophone » : M’étant rendu à Paris et à Bruxelles en 2004 à la veille du 190ème jubilée du Kobzar [T. Chevtchenko], je n’ai pas trouvé dans les librairies un seul ouvrage de lui ou qui lui aurait été consacré. La littérature oukraïnienne était représentée par les écrivains de langue russe : Nicolas Gogol (à considérer Gogol comme un écrivain oukraïnien) et André Kourkov. (7)

Présentant son étude « Traduction de l’oukraïnien en français entre 1991 et 2012 » au Forum des Editeurs de Lviv en 2013, la titulaire de la chaire de langue et de civilisation ukrainiennes à  l’INALCO, Iryna Dmytrychyn partage ce souvenir personnel : « En ce qui concerne les livres... Il y a une quinzaine d'années de cela j'ai été témoin... <clignements d'yeux>... une institution française voulait faire une petite présentation de la littérature oukraïnienne... ils sont allé dans une librairie et sont revenu avec trois auteurs : Gogol, Boulgakov et Babel. Et c'est tout. On leur a dit que c'était ce que représentait la littérature oukraïnienne.
Si cela s'était passé aujourd'hui, ils aurait pu trouver en librairie Androukhovytch, Derech et dans quelques mois Jadan, et dans un an certainement Maria Matios. Donc si ce processus est très lent, il existe néanmoins un progrès. »

Quant au bilan : « En France, à l’heure actuelle, l’Oukraïne a été totalement délaissée par le monde universitaire. (...) Il s’est fait que depuis vingt ou trente ans il n’y eut pas de spécialistes de littérature oukraïnienne.»

Citons une troisième tentative de bilan, « Traductions en français des belles-lettres oukraïniennes des XX-début XXI siècles » de 2011 par A. Dourmanenko (8) :


http://www.philology.kiev.ua/library/zagal/Movni_i_konceptualni_2011_38/198_205.pdf
Les traductions françaises des poésies de Taras Chevtchenko, Vassyl Stous, Youry Tarnavsky, réalisées respectivement par Louis Aragon, Olaf Hedera et Oles Masliouk, nous les trouvons aussi dans les revus françaises « Les Lettres Françaises » (N° 557, 1955), « Continent » (1989), « La Reviste » (1994), « L’intranquille » (N° 4-5, 1999).


Moi et Louis Aragon donc.
Aragon, traducteur de Chevtchenko.

Il y a cinquante ans « toutes les tendances idéologiques et politiques françaises se sont associées à la commémoration du 150ème anniversaire de Chevtchenko ». Elles ont été tout aussi unanimes lors du bicentenaire - par leur mutisme.



De lors aujourd'hui, en 2014, Chevtchenko est connu en France  très vaguement :

« Longtemps l’Ukraine a vécu dans deux empires, dans deux mondes, tâchant de s’unifier par la culture. La langue ? Gogol et Chevtchenko en ont discuté dans leur correspondance... » Georges Nivat, op.cit., mars 2014
Après la vingtaine de romans retrouvée par Eugène Guillevic, on n’est plus vraiment étonné de la trouvaille faite par son compatriote, Georges Nivat, cinquante ans plus tard, de la « correspondance entre Gogol et Chevtchenko ».
(Gogol et Chevtchenko ne se sont jamais rencontrés, ni échangé la moindre lettre, du moins le croyait-on avant les révélations du gogologue français.)

« Devenu poète, Chevtchenko créa le grand poème national ukrainien Kobzar. » idem. (Chevtchenko n’a jamais écrit de poème portant ce titre, Kobzar est le nom du recueil de ses poésies.)

Force est de constater : Taras Chevtchenko était mieux connu du Français jadis qu'il ne l'est aujourd'hui. Son savoir, celui du Français, a rétrécie. Son ignorance a pris de proportions surprenantes.


* * *

Cette belle province de l’Ukraine, qui couvre une surface beaucoup plus grande que la France...
Pierre Larousse

Un peu plus grande que la France, l’Ukraine est un pays...
Larousse-on-line

Sans doute Jacques Morel est excessif lorsqu’en 1987 il écrit « Les Cosaques et l’histoire de l’Ukraine hantaient l’esprit des Français du siècle dernier, nourris de la légende napoléonienne ou passionnés par le problème des nationalités. » On préférera la formulation moins exaltée du député de la Seine, Emmanuel Evain : « On peut affirmer que la France, jusqu’à la fin du second empire, connaissait l’existence du problème ukrainien. » Jusqu’au mutisme hugolien de 1878, j’en ai parlé ailleurs. Ensuite la mémoire française en ce qui concerne la question oukraïnienne, la mémoire française fut la victime de ce qui chez un être humain aurait ressemblé aux symptômes tragiques de la maladie d’Alzheimer.


... Et parmi les facteurs pathogènes indubitablement la presse franco-russe dont parlait déjà l'Oukraïnenne (Laryssa Kossatch) à propos de sa « Lettre d’une prisonnière russe, petit poème en prose, dédié aux poètes et artistes qui ont eu l’honneur de saluer le couple Impérial Russe à Versailles ».

Honte aux libres poètes qui devant l’étranger font sonner les anneaux de leurs chaînes librement mises ! 
L’esclavage est ignoble d’autant plus qu’il est libre.



Ce qui en 1896 apparaît à l’Oukraïnienne comme l’existence d’une presse française « franco-russe » est l'effet visible d'un épisode de l'Histoire de France appelé plus tard l’ « Affaire Raffalovitch ».
 
...correspondance d'Arthur Raffalovich, d'après les documents des archives russes (9) :

Au comte Sergueï Witte
Paris, le 10 mai 1897
Monsieur le Ministre,

... je me suis fait donner la liste des sommes dépensées en 1896 et je trouve pour le 2e semestre

Journal Officiel                                                  11.400 50
Messager de Paris                                             10.314 –
Journal des Débats                                            10.911 –
Le Temps                                                          10.556 –
L’Economiste français                                          7.372 –
Le Monde Economique                                     10.081 50
Le Petit Parisien                                                  3.016 –
Le Nord                                                              4.003 –
Le Rentier                                                           4.000 –
La Revue Economique                                            223 –
La Semaine Financière                                            244 –

Comme j’ai eu l’honneur de l’écrire à Votre Excellence, le Monde Economique n’a pas la moindre importance et il faut s’en débarrasser le plus tôt possible pour reporter cet argent sur le Gaulois et la Revue Economique...

Arthur Raffalovitch


1896,

1897, 

1898, 

1899, 

1900, 

1901...

Paris, le 13 octobre 1901
Monsieur le Ministre,

... comme il est impossible d’acheter tout le monde, il faudra faire une sélection, prendre le Temps, l’Echo de Paris et le Journal, le Petit Parisien, quatre ou cinq journaux de province (la Petite Gironde, le Petit Marseillais, le Lyon Républicain, la Dépêche de Toulouse, la Dépêche de l’Est) et traiter (hélas !) aussi avec Poidatz et Théry pour le Matin et le Petit Journal.

Et encore un tableau de dépenses pour la presse française tiré cette fois d’un compte rendu fait au successeur du tsar :

Journaux et journalistes                                                sommes versées/mois (en francs)

Le Temps                                                                    41 600
L’œuvre                                                                      10 000
L’Ere nouvelle                                                             15 000
France-Presse, Paris-Soir, Paris-Midi                          20 000
Vu, Lu                                                                         10 000
Rolland                                                                          5 000
Quilci/Havas                                                                  3 000
Tabouis                                                                         5 000
Total                                                                          113 600

Et un extrait de ladite lettre :
Nous avons déjà plus d’une fois signalé la nécessité d’augmenter les crédits alloués à l’ambassade pour agir sur l’opinion publique française. ... Pour diriger, inspirer et régulièrement fournir à la presse le matériel informatif qui nous est nécessaire, il faut à l’ambassade des ressources financières beaucoup plus conséquentes. 
Le même expéditeur au même destinataire, un an plus tard : Les possibilités sont particulièrement grandes en France. Là-bas, on peut acquérir de l’influence sur tous les journaux, et même sur des journaux aussi hostiles à notre égard que le Matin. Le seul problème, c’est l’argent. (10)

Jean-Louis Panné commente ces dépenses moscovites de 1935 : « Les Soviétiques, reprenant à leur compte la politique tsariste d’avant 1914, attendent des journaux stipendiés qu’ils influent sur la diplomatie française. »

Et si ce n’est plus le Tsar mais le Secrétaire Général – qu’importe : la presse française est toujours à vendre.

Le tableau des dépenses russes pour la presse française en 2014 ? 
Il nous faudra sans doute patienter jusqu'à la chute du régime poutinien pour le consulter. A moins d'un nouveau Mitrokhine, bien sûr.

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Mais dès aujourd’hui nous pouvons constater combien le mal est profond. Sur l’exemple du dernier Jadan. La réaction de la critique au roman de Serhiy Jadan « La Route du Donbass » (dont la traduction française est paru en octobre 2013 aux éditions suisses Noir sur Blanc). Mais rappelons d’abord ce qu’en disait le très acerbe critique russe Victor Toporov : « Est-ce un "grand roman" ou pas, impossible de le dire : seul le temps peut porter un jugement de cet ordre. Mais si un jour, comme je l’ai prédit, Serhiy Jadan reçoit le prix Nobel de littérature, il l’obtiendra tout particulièrement pour Vorochylovhrad (La Route du Donbass). »

« Transfuge » du décembre 2013 consacre un article à « La Route du Donbass ». « White trash à l’ukrainienne ».  
Oriane Jeancourt : Grâce à un jeune écrivain, Serhiy Jadan, un nouveau type de personnage s’invite dans la littérature ukrainienne : (...) le white trash ukrainien est né. 
C’est vrai qu’Oles Oulyanenko est mort et enterré sans que son nom ne soit jamais prononcé en français.
Oriane Jeanourt est enthousiaste : Une vision unique, servie par une langue précise et ironique (« J’avais l’impression d’avoir croisé la mort. Ou un train de marchandises. »)

Et c’est tout. Je veux dire qu’en 2014, pendant que la première guerre européenne du XXIe siècle embrasait le Donbass, pas un critique français n’a eu la curiosité de se pencher sur le roman d’un futur prix Nobel qui porte Donbass dans son titre.

Ce qui, incidemment, nous permet de répondre à la question posée il y a quinze ans par Bruno Guichard et René Martin (2) :


Comment la France peux rester privée de ces témoins et vigies que représentent les écrivains ?

En ayant les critiques littéraire les moins curieux du monde...

En plus d'avoir des slavistes, slavisants et autres spécialistes du monde slave très retardés.

"Khvylovy, Nationaliste ukrainien"
Source : BN Service russe
En plus d'avoir des bibliothécaires impérialistes parfaitement décomplexés. Depuis plus de vingt ans et jusqu'au jour d'aujourd'hui.

Ignorance proliférante bien sûr.








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Et si pour lire "La Route du Donbass" nous allions à la médiathèque... de Montélimar ?
"переклад з української (малоросійської)"

La route du Donbass / Serhiy Jadan ; 
traduit de l’ukrainien (syn : petit russe) par Iryna Dmytrychyn 

On en parlait justement dans la revue Hérodote du juillet-décembre 1989 :

Ainsi s’évanouissent l’un après l’autre les mythes historiques staliniens, souvent repris de l’idéologie étatique tsariste et ravalant le peuple ukrainien au rang de « petit-russe ». Chaque mythe brisé de l’historiographie impérialiste constitue un acte de libération pour un peuple colonisé, comme le disait Frantz Fanon. Ce qu’on commence à découvrir avec stupeur, c’est le fait qu’en Europe même il existe encore des peuples confrontés à une tâche aussi élémentaire que la récupération de leur mémoire. (11)


 
... ce fait, si étrange qu’il puisse paraître, s’est accompli en plein XIX e siècle.


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2014 fut aussi l’année où disparu, définitivement sans doute, le site Mazepa 99, compris le volet français du projet Oukraïny Slava Stane Sered Narodamy, à la toute fin du siècle dernier, « à l’heure actuelle, le plus complet recueil de poésie oukraïnienne en langue française ». Dont « les traductions proposées vont de celles, historiques, du baron Adolphe d’Avril jusqu’à celles réalisées en vue du projet. Le corpus est essentiellement le résultat des efforts de la diaspora oukraïnienne dans les pays francophones pour faire connaître sa culture. Ainsi le projet est dédié à la mémoire de Kaléna Houzar-Uhryn. »
Un minuscule fragment du site, miraculeusement sauvegardé, à savoir ma collection des traductions françaises du « Zapovit » (Le testament) de Taras Chevtchenko, est le post le plus consulté de ce blog.
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1) Paris, 1876, T.15, p.637.
2) Bruno Guichard et René Martin, “Interrogations ukrainiennes”, Diagonales Est-Ouest, numéro spécial à l’occasion du salon du livre de Die, organisé dans le cadre des “Regards  [méprisants] sur la culture ukrainienne”, (Lyon), 1999, p.5.
N.B. Le recueil de poésie de Ihor Kalynets, Le couronnement de l’épouvantail, est paru en 1996. Les nouvelles de Mykola Khvylovy, La Route et l’Hirondelle, en 1993.
3) Jean-Bernard Dupont-Melnyczenko, Les Ukrainiens en France, Mémoires éparpillées, Editions Autrement, Paris, 2007, pp.27-28.
4) Emile Durand, « Le poète national de la Petit-Russie »
Revue des Deux-Mondes, Paris, 15 juin 1876
De ces données sommaires on pourrait conclure que la Petite-Russie, au point de vue littéraire, doit être, par rapport à la Grande-Russie, ce que la Provence est par rapport à notre pays. Il serait naturel de supposer qu’un poète populaire chez elle doit jouer le même rôle que, chez nous, un Mistral ou un Roumanille; mais nos poètes de la moderne langue d’oc sont des gens instruits et lettrés, qui n’ont pas complètement échappé à l’influence de la littérature contemporaine. Leurs œuvres, bon gré mal gré, s’adressent à des Français qui connaissent le provençal plutôt qu’à des paysans qui ignorent le français. Il n’en est pas de même pour Chevtchenko. Le poète, mort depuis quinze ans, que nous voudrions faire connaître, est populaire dans le sens le plus large du mot. Tous les paysans petits-russiens savent par cœur un bon nombre de ses poésies, et les chantent pêle-mêle avec celles que leurs pères leur ont transmises, ou qu’eux-mêmes ont recueillies de la bouche des derniers kobzars (chanteurs ambulans). Le nom du poète leur est familier; il représente pour eux une sorte de résurrection des souvenirs du passé. En effet, depuis longtemps déjà, de génération en génération, leur poésie populaire allait s’éteignant, s’effaçant dans toutes les mémoires: une strophe disparaissait, puis une chanson tout entière, puis un fragment de poème. Les érudits, venus tard pour recueillir ce qui restait, ont vu combien c’était déjà réduit à peu de chose. Eh bien ! Chevtchenko a créé, tout seul, pour ainsi dire, un nouveau cycle.
5) A. Joukovsky, 1969, p.47.
6) Bulletin Franco-ukrainien, N° 18-19 - mars 1964.
7) Oleksandr Tcherednytchenko, Les études oukraïniennes dans le monde francophone, Vsesvit (Kyïv), n°5-6, 2005.
8) A. Dourmanenko, Frankomovnipereklady oukraïnskoï khoudojnoï literatoury XX – potchatkou XXI stolit’. Movni i kontsaptoualni kartyny svitou, Kyïv, N° 38, 2011, str.202.
10) Tableau des dépenses pour 1935 in Sabine Dullin, Des hommes d'influence, Les ambassadeurs de Staline en Europe, 1930-1939, Paris, 2001.
(11) Zbigniew Kowalewski, L’Ukraine : réveil d’un peuple, reprise d’une mémoire. Hérodote, « Les marches de la Russie », n°54-55, juillet-décembre 1989, pp. 136-7
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Le catalogue au 31 décembre 2014 :

La famine-génocide de 1932-1933 en Ukraine dans les belles-lettres ukrainiennes (Anthologie grise), trd. d’Anatole Tchumak et Myroslawa Maslow. Société Scientifique Sevcenko (Chevtchenko), Editions du Dauphin, Paris, 2003

Anthologie de la littérature ukrainienne du XI au XXème siècle. (Anthologie sable), Editions Olena Teliha, Kyïv, 2004

L’Ukraine vue par les écrivains ukrainiens (Anthologie bleue), trd. Iryna Dmytrychyn, Présence ukrainienne, Harmattan, Paris, 2008

Nouvelles d’Ukraine (Anthologie rouge), trd. Dmytrychyn & Oles Pliouchtch (Oles Masliouk), Magelan&Cie, Paris, 2012

Clarinettes solaires, anthologie de la poésie ukrainienne (Anthologie pastelle), trd. Tchystyak, Editions Institut culturel de Solenzara, Paris, février 2013 / Seconde édition : février 2014


               
Youry Andrukhovych [Androukhovytch], Remix centre-européen in Mon Europe, trd. Maria Malanchuk, Noir sur Blanc, Lausanne, 2004
                                                                         Moscoviada, trd. Maria Malanchuk, Noir sur Blanc, Lausanne, 2007
                                                                        Symphytum cordatum, in Last & Lost, Atlas d’une Europe fantôme, trd. Maria Malanchuk, Noir sur Blanc, Lausanne, 2007
                                                                       Les douze cercles, trd. Iryna Dmytrychyn, Noir sur Blanc, Lausanne, 2009

Taras Chevtchenko (1814-1861), Etudes et traductions françaises, édité par la Société Scientifique Sevcenko aux Editions du Dauphin, Paris, 2004
Taras Chevtchenko, Testament. trd. Dmytro Tchystiak, Etudes ukrainiennes transdisciplinaires, Fascicule n°5, Editions Institut culturel de Solenzara, Paris, février 2014
Taras Shevchenko, Kobzar ; Poetry of Taras Shevchenko in Ukrainian, English and French. Introduction by Andrew Gregorovich. Taras Shevchenko Museum, Toronto, 2014

Lyoubko Derech, Culte, trd. Oksana Mizerak, Robert Laffont, Paris, 2009

Olexïi Dovgii, Le calice de roses, Choix de poèmes, Edition bilingue ukrainien-français, trd. Dmytro Tchystiak & Ivan Riabtchii, Harmattan, Paris, 2010

Maryna Grymytch [Hrymytch), Voulez-vous tchaiok, monsieur ?, trd. Danylo Ostach & Sophie Maillot, Duliby, Kyiv, 2013

Serhiy Zhadan [Jadan], Le Passeport du marin, dans Odessa transfert, trd. Maria Malanchuk, Noir sur Blanc, Lausanne, 2011
Serhiy Jadan, La Route du Donbass, trd. Iryna Dmytrychyn, Noir sur Blanc, Lausanne, 2013

Mykhaïlo Kotsyoubynsky, Les chevaux de feu, trd. J.C. Marcadé, L’âge d’homme, 2001

Ivan Ryabtchiï, Lilith, nouvelles, (sans indication de trd.), Editions Institut culturel de Solenzara, Paris, 2013

Dmytro Tchystiak, Le verger inassouvi, Poésie 2006-2011, trd. par l’auteur, Christophe Chomant Editeur, Rennes, édition bilingue ukrainien-français, 2012
Dmytro Tchystiak « Champ. Soir et matin », bilingue, trd. par l’auteur, les éditions Institut culturel de Solenzara, Paris, février 2013
Seconde edition : Christophe Chomant éditeur, Rouen, sept. 2013

Marko Vovtchok, Maroussia, trd. par l’auteur, Présence ukrainienne, Harmattan, Paris, 2008

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1 commentaire:

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