mardi 24 décembre 2013

Prokhasko, Halytchyna FM (fragment)


Taras Prokhasko
Halytchyna FM
(fragment)
15.01 [araucaria]
 

Photo : Dmytro Larine
c/o Oukraïnska Pravda Jyttya
Dans ma maison (en plus de toute sorte de gens) vit une plante extraordinaire – un araucaria. Si vous regardez du dehors vous le verrez certainement par la fenêtre. L’araucaria est plus petit que moi, et cela bien qu’il soit plus que centenaire. Il faut dire qu’ils poussent très lentement, les araucarias, dans leurs Andes lointaines. Car les araucarias sont les sapins des Andes. Et ils vivent quelques trois mille ans. Ils étaient très à la mode dans les demeures européennes au début du siècle. La Sécession raffolait de telles formes ces formes là.
Et c’est bien vrai qu’il est beau. Il a des branches comme des pattes, disposées par quatre à chaque niveau. Il n’aen a jamais plus de trois niveaux, le reste se tasse, se meurs et finit par disparaître. Et sur le faîte poussent de nouveaux millimètres. Cet araucaria fut offert à ma grand-mère en remerciement d’une guérison par un patient reconnaissant, encore dans les années 20. Il n’avait à l’époque pas plus de 40 centimètres de haut, tout en étant plus âgé que grand-mère, qui, il faut dire, à ce moment n’était pas encore grand-mère. Relativement à sa durée de vie l’araucaria était un nourrisson. Au début, la plante ne se rendait compte de rien. Puis elle se fit attentive à tout ce qui se passait dans notre maison, et tous les évènements d’importance s’inscrivaient sur ses cernes. Puisque, comme cela a été démontré, les plantes, et surtout les plantes aussi parfaites, si elles ne pensent pas, en tout cas comprennent tout, ressentent tout.
Parfois c’est effrayant de se trouver en sa présence. Car ce n’est pas chose aisée à comprendre – avoir été témoin d’évènements depuis longtemps passés et pouvoir vivre encore quelques millénaires ayant survécu à nous tous qui sommes à ses côtés maintenant. Certainement nous serons pour lui comme une espèce de souvenir d’enfance, réel en partie et en partie rêvé. Peut-être ne nous remarque-t-il qu’à peine – si l’on songe à la différence de nos rythmes vitaux. Ce qui est certain est qu’il ne perçoit pas les évènements particuliers qui nous arrivent – comme un appareil photo avec une très-très longue exposition ignore les mouvements brusques.
Ainsi les arbres, qui vivent lentement, ne remarquent pas, ne peuvent pas remarquer l’existence des papillons saisonniers.
De temps en temps je fais sa toilette. Et chaque fois en sortant la poubelle je me fais la réflexion que mon seau est unique : il y a de petites branches d’araucaria à l’intérieur.
Il y a peu j’ai acheté un autre petit sapin des Andes. Il doit avoir mon âge. Et je suis certain que cet araucaria-là, lui au moins, vivra assez pour voir les jours meilleurs.
літератюр юкреньєн ан франсе littérature ukrainienne en français

And the English translation by Mark Andryczyk



15.01

Living in my home (in addition to various people) is an extraordinary plant — an araucaria. If you look through the window from the street, you can see it. The araucaria is still shorter than me, although it’s over a hundred years old.

They grow very slowly, these araucaria, in their Andes. For araucaria are Andes evergreens. And they live some three thousand years. They were rather fashionable in European dwellings at the beginning of the century. The Secession style adored ornaments such as these. And truth be told, it really is beautiful. It has pawlike branches, four on each level. It usually does not contain more than three levels. The rest gradual shift, die off and are moved out of the way. And fresh millimeters begin to grow on the top. This araucaria was given to my grandma as a gift in return for some sort of successful medical treatment back in the 20s. At that time, it was no taller than 40 cm, although it was older than my grandma, who, actually, was not yet a grandma. Based on its life span, the araucaria was an infant. At first, the plant did not notice anything. Later, it became increasingly nosy of everything that went on in the house and all our experiences came to be preserved in its tree rings. Because it’s been proven that plants ― especially such perfect ones ― although, perhaps, not fully capable of thought, at the very least, understand, sense and remember everything.

Sometimes it’s scary to be in its presence. Because it’s not so easy to have witnessed past events and then live on for a few more thousand years, having outlived us all, everyone close to it now. For it, we, probably, are like some kind of halfreal, halfimagined childhood memory. Perhaps, it barely notices us if one takes the difference in our life spans into consideration. Surely, it’s not able to comprehend individual episodes that take place with us as they happen — in the same way that a camera with an unbelievably long shutter speed does not fixate something that has moved somewhere.

In that way, trees that live slowly don’t notice, cannot notice, the existence of seasonal butterflies.

And I bathe it every now and then. And every time I take out the trash, I see that my trash bin is unique because it contains araucaria branches.

Not long ago I purchased another little evergreen from the Andes. Perhaps it’s as old as I am. I’m convinced that this araucaria, at least, will survive to see better years.


From : Taras Prokhasko FM Galicia Translated by Mark Andryczyk

CONTEMPORARY UKRAINIAN LITERATURE SERIES, 2010, WASHINGTON.

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