samedi 5 octobre 2013

Élisée Reclus "par exemple à propos de l’Ukraine"

La maison Hachette était incontestablement une grande maison d’édition.
 
notes - archives


La maison Hachette était incontestablement une grande maison d’édition. Alors que le compte d’Élisée Reclus était débiteur de 31 701,15 francs, au 30 septembre 1894, Hachette « lui offrit aussitôt de lui en donner quittance gracieuse ». Reclus demanda si la Maison ne pourrait pas lui faire avance de ses droits sur les livraisons encore en magasin ; en même temps, il lui proposait de lui vendre sa bibliothèque. Il lui fut répondu :

Chaque année, nous vous tiendrons compte de vos droits sur les exemplaires vendus ; mais comme il est à craindre que cela ne représente qu’un chiffre assez faible, nous vous offrons de vous verser pendant dix ans une somme mensuelle de 833,33 francs destinée à parfaire ce que vous retirerez du produit de la vente et de façon à vous assurer dans tous les cas dix mille francs par an.

En ce qui concerne l’abandon de votre bibliothèque que vous nous avez offert, nous désirons que vous en conserviez la libre disposition. Elle a pour vous une valeur que nous ne voulons pas faire entrer en ligne de compte, de telle sorte que vous puissiez toujours en disposer comme il vous conviendra.

 Nous espérons que vous trouverez dans ces propositions que nous vous adressons l’expression du respect et de l’affectueux dévouement que nous inspirent les longs et parfaits rapports qui n’ont point cessé d’exister entre nous.
 
Élisée Reclus reçut ainsi une rente annuelle jusqu’à sa mort. En 1900, il restait encore 70 000 volumes, il fallut en pilonner les deux tiers. Sans doute la Nouvelle Géographie universelle fut telle disqualifiée par les écrits des nouveaux géographes - universitaires ceux-là, et aussi conservateurs Vidal de La Blache et ses élèves Gallois, de Martonne, etc. Il paraît plus que probable que l’anarchiste militant a permis de discréditer le géographe étonnant de perspicacité. C’est bien parce qu’on ne pouvait dissocier le géographe, qui aurait dû être nanti d’on ne sait de quelle sereine impartialité scientifique, du militant anarchiste, que les représentants de l’institution universitaire ont choisi de l’oublier et de le faire oublier au plus vite. Mais comment Reclus aurait-il pu taire ce qui faisait le fondement même de son engagement politique, l’oppression d’autrui et ce à tous les niveaux, non seulement des puissants sur les plus faibles mais aussi celle que les plus faibles exercent sur ceux encore plus faibles qu’eux. Ce désintérêt rapide pour la géographie reclusienne est d’autant plus regrettable que les derniers volumes en particulier celui sur les États-Unis, offrent des passages remarquables, d’une exceptionnelle pertinence et clairvoyance (cf. article de Fredérick Douzet), inexorable montée en puissance des États-Unis dont il annonce qu’ils seront très rapidement la première puissance mondiale. C’est dans les passages où il montre la domination d’un peuple sur un autre, d’une classe sociale sur une autre ou les rivalités entre deux peuples pour le contrôle d’un même territoire que les analyses reclusiennes sont d’une incontestable perspicacité et justifient qu’on les relise. C’est pourquoi déjà en 1980 nous avions publié dans un numéro intitulé points chauds les analyses de Reclus sur l’Afghanistan, que l’URSS avait envahi en décembre 1979. Nous insistions alors sur le fait que Reclus ait décrit les divisions des tribus afghanes et l’ancienneté de leurs affrontements. Géographe, il sait accorder une large place à l’histoire afin d’expliquer comment ces situations de domination se sont mises en place, par exemple à propos de l’Ukraine, il retrace l’histoire de la région depuis le moyen âge et présente une carte des « déplacements historiques de l’Oukraïne ».
  
Béatrice Giblin, Élisée Reclus : un géographe d’exception, Hérodote, N° 117, 2005

« Déplacements historiques de l’Oukraïne ».qui illustrait feu le site Mazepa_Nonante_Neuf.


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