dimanche 3 mars 2013

Emma Andievska - D. et la mort












 
Емма Андієвська    Emma Andievska

Tiré du recueil Voyage, 1955

D. et la mort


 


Lorsque D. revint d’un long voyage, il fut très surpris de voir son frère aussi changé.

– Qu’est-ce que tu as ?

– Je t’attendais, – dit le frère.

– Je n’aurai pas pu te le dire dans une lettre, et de toute façon cela n’aurait servi à rien. Il fallait que je te vois. Tu sais que toute ma vie j’ai eu un problème au cœur. Je me suis habitué à la maladie, et jusqu’à présent elle m’avait laissé tranquille. Mais depuis que tu es parti la mort vient me rendre visite. Quand je suis seul, en silence elle arpente la chambre en renversant les chaises, et j’ai très peur. Je t’en supplie, tu es plus jeune que moi et tu es en pleine santé, viens habiter chez moi quelques temps. Elle cessera de m’importuner. Elle vient uniquement lorsque je suis seul. Elle me fait peur.

D. aimait beaucoup son frère, mais il ne voulait pas quitter son vieil appartement dans la banlieue et d’aller vivre avec lui.

– Ne crains rien, – dit-il en riant, – je parlerais à la mort.

– Je n’affabule pas, frère. Crois-moi elle ne voudra pas apparaîtra en ta présence.

– Alors dit lui de venir me voir. Dis-lui simplement que ton frère veut la voir.

– Oh, – soupira le frère de D., – si je pouvais lui parler, elle ne me ferait pas peur. Cela t’est facile de parler ainsi, à toi qui est jeune et en bonne santé. En sa présence, de peur, je ne peux faire le moindre mouvement.

– Tu n’es pas obligé de lui parler, – dit D., – tu peux te dissimuler sous l’édredon et de là lui crier qu’elle vienne me voir.

– Mais je ne peux pas, – dit le frère.

– Alors je lui laisserais un mot et tu n’auras qu’à le laisser bien visible, et si ça ne marche pas nous aviserons.

Ils décidèrent de faire ainsi, et bientôt la mort vint voir D.

D. était en train d’arroser les plantes, lorsque fugace sa robe rose passa derrière la clôture. Mais D. l’a reconnu. Elle avait des joues toutes rouges et ses bas étaient mis à l’envers.

D. posa l’arrosoir au milieu des phlox, ouvrit le portillon et laissa la visiteuse entrer dans le jardin.

Les propriétaires chez qui D. louait son appartement était allés rendre visite à de lointains parents et D. était seul à la maison. Il apporta un bol de fraises de bois, des verres, de la crème fraîche, du sucre et des cuillères et une fois installé il raconta des histoires. Elle se passionna pour ces histoires, elle mangea tant de fraises de bois que ses cheveux en devinrent d’un jaune brillant. D. fut obligé à plusieurs reprises de lui verser de l’eau de l’arrosoir pour qu’elle puisse se laver et de lui apporter une serviette. La mort partit de chez D. lorsque les réverbères brillaient déjà derrière la villa se frayant un chemin parmi les feuilles vers les jardins, lorsque des nuages de moustiques bourdonnaient dans l’air transi par les effluves de tabac, de menthe et de la terre.

Après cette visite la mort cessa d’aller chez le frère de D., en revanche elle venait de plus en plus souvent chez D. Elle aidait D. à tailler les arbres, à planter les fleurs et un jour elle réussit même à faire du thé et des varényky aux fraises pour D. Mais les varényky étaient totalement ratés et la mort riait de son inexpérience en jetant la substance visqueuse et grumeleuse et ils burent simplement du thé. Puis la mort amena des cartes et D. lui montra des solitaires qui lui ont beaucoup plu.

La mort se demanda pourquoi elle avait d’abord choisi le frère malade au lieu de choisir D. Elle se lia tellement d’amitié avec D. qu’à l’automne, quand les pommes étaient déjà mûres, elle lui dit de se préparer à faire un long voyage : elle le prenait lui à la place de son frère.

D., qui tenait une jatte remplie de pommes, la posa sur la table et dit en souriant :

– La mort, je suis un poète, est-t-il possible que tu ne sache pas qu’il nous a été donné de mourir le même jour ?

La mort eu honte comme jamais auparavant, timidement elle demanda à D. si elle pouvait prendre une pomme et s’installant confortablement dans le fauteuil elle écouta le conte que D. venait d’imaginer.

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