samedi 15 décembre 2012

Honte à moi !


Honte à moi ! Avoir confondu le merveilleux Piotr Rawicz (l’« auteur-Gallimard ») avec l’admirable Emmanuel Raïs !

Pour me faire pardonner, si cela est possible, je vous propose ci-après une lettre d’Emmanuel Raïs à Martin Buber. Elle est datée du 14 février 1947.
 

Cher Monsieur le professeur, voici encore quelques détails concernant votre voyage parisien.

1) Bachelard a obtenu du recteur que vous fassiez à la Faculté des Lettres vos trois conférences sur le mystère de la souffrance et sur l’idée fondamentale du chassidisme. Il croit que vous aurez un beau public d’étudiants et de spécialistes. Il conseille aussi de donner à la conférence sur le chassidisme un sous-titre explicatif.

2) En plus, selon son conseil, je me suis adressé à Jean Wahl, professeur de philosophie à la Sorbonne qui vous connaît de Pontigny – homme très proche de vous d’après ses vues – lui-même élève de Jacques Gordin. Il vous prie de faire 2 conférences (si possible) dans une très intéressante «association philosophique» qu’il dirige, sur un sujet de votre choix, en français si possible, concernant le judaïsme. Le point de vue du judaïsme, selon vous, sur tel ou tel autre problème.

3) M. Bachelard pense que votre arrivée à Paris est trop tardive – les étudiants étant trop occupés par les examens à cette époque. De toute façon, tant lui que M. Jean Wahl vous prient de préciser le temps de votre séjour à Paris pour qu’ils puissent préparer l’auditoire. C’est pourquoi je vous prie de m’écrire, sans beaucoup tarder, le temps exact où vous entendez être à Paris.

4) Dans les milieux juifs – j’ai parlé de votre voyage à M. Fink – écrivain et érudit hébraïsant et yiddish à Paris, dirigeant culturel sioniste le plus important. Il voudrait s’occuper de votre séjour parisien et vous prie, si vous pouvez, de faire 3 conférences à Paris pour le public juif : une dans le brith ivrit(h) – groupe d’élite d’hébraïsants – sur un sujet de votre choix en ivrit(h), une au centre culturel de la « Fédération des sociétés juives », si possible en yiddish, sinon en français, et une dans l’ « association des intellectuels juifs de France » – devant un public mélangé de Juifs et de chrétiens, en français. Il voudrait également, si possible, publier sur vous une étude dans la revue juive de langue française « quand même » qu’il dirige. Mais il lui faudrait pour cela vos œuvres suivantes : Zwiesprache, Die Frage an den Einzelnen et votre ouvrage hébraïque sur la philosophie du chassidisme, en n’importe laquelle des trois langues : hébreu, anglais ou allemand.

Il vous envoie – et je vous l’expédierai lundi (schabat (h) s’approche) – quelques numéros de la revue hébraïque machberot(h) qu’il a fondée et qu’il dirige, en même temps que le livre promis de M. Léon sur la conception matérialiste de la question juive et que le dernier numéro du « quand même » – le seul que je possède à cause d’un article que j’y ai inséré sur la discussion d’un problème d’art juif qui a eu lieu ici – pour vous en donner une idée.

Les articles des machberoth(h) qui lui semblent les plus intéressants pour vous, il les a marqué au crayon tantôt sur la couverture tantôt dans le texte.

D’une façon générale, j’ai l’impression que l’intérêt pour vous est très grand et que vous risquez davantage d’être submergé par trop de demandes de conférences que par trop peu. C’est pourquoi, contrairement à mon intention première, je n’ai parlé de votre arrivée qu’à un petit nombre de personnes très qualifiées comme Bachelard, Wahl ou Fink.

Les livres dont M. Fink a besoin pour son étude – il vous prie de les lui expédier le plus vite possible pour qu’il ait le temps de les étudier et publier l’étude sur vous avant votre arrivée.

En même temps je vous prie de préciser la date la plus exacte possible de votre arrivée à Paris.
Je reste à votre disposition pour tout autre enseignement ou démarche que vous désireriez.


Bien dévoué à vous
 

Source : Dominique Bourel, « Martin Buber et la culture française », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 18 | 2007, mis en ligne le 09 mars 2009, URL : http://bcrfj.revues.org/107


M. Bourel précise que Emmanuel Raïs est né en 1909 et mort en 1981, et qu’il était critique et essayiste.

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