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mercredi 20 juillet 2016

Piotr Rawicz, "Depuis des années je n’ai lu de livre plus terrifiant..."



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Piotr Rawicz, "Depuis des années je n’ai lu de livre plus terrifiant..." (Préface au roman de Vassyl Barka, Le Prince jaune, 1981. Une version abrégée de ce texte est parue il y a quelques années dans l’ouvrage consacré à Piotr Rawicz : Un ciel de sang et de cendres.)

Quelques extraits :

...En attendant, on peut parler d’un miracle : Bajan, Sossioura, Rylsky, Zerov, le génial Tytchyna... peu de littératures européennes peuvent se vanter d’avoir fait surgir une telle pléiade de grands poètes en un laps de temps aussi bref. Youri Yanowsky, Maïko Yohansen, Ploujnyk, Ostap Vychnia, Khvylovyï – la prose elle aussi se situe à des hauteurs surprenantes... J’ai sous les yeux le catalogue général de Gallimard. On y trouve des centaines, des milliers de traductions de dizaines de langues, mais à une seule exception près, celle des Cavaliers de Ianowsky, aucune trace de cette moisson. Avis aux éditeurs à la recherche de talents à découvrir ou redécouvrir.

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Non, ni les récits hallucinant de Varlaam Chalamov ni le grandiose Archipel du Goulag de Soljénitsyne ne pouvaient tout dire. Ces villages ukrainiens jadis florissants transformés en cimetière ne rappellent-ils pas les ghettos après le passage d’un commando S.S. ? Ces rafles de paysans en ville et ces fosses communes où l’on précipite morts et vivants ne font-elles pas penser à l’holocauste hitlérien ?


... Il faudrait une étude « psycho-historique » approfondie pour déterminer dans quelle mesure les traumatismes dus au génocide de 1932-33 et à la « renaissance fusillée » ont pesé sur ce choix criminel (et inepte) de certains dirigeants nationalistes mis entre la Scylla du nazisme et la Charybde du communisme.


... Mais il serait injuste de ne voir dans Le prince jaune qu’un document. Ce roman est aussi et avant tout une œuvre d’art, un poème. Romancier, critique, penseur, religieux, essayiste, jouant en virtuose de tous les registres de l’ukrainien – langue-steppe, langue-eau, langue-marécage, langue-crépuscule – Vassil Barka est avant tout un poète, auteur d’une monumentale épopée en vers intitulé Le témoin où il évoque entre autres l’extermination des Juifs en Ukraine sous Hitler. Cette œuvre géante en quatre volumes attend encore un traducteur inspiré pour paraître en quelque langue de grande diffusion. ...


Dans toutes les lettres contemporaines on chercherait en vain, me semble-t-il, une image aussi impitoyable et aussi cliniquement fidèle de la faim, de ce que la faim mortelle inflige au corps, à la conscience, à l’esprit humains...
 
Puisse donc Le prince jaune servir d’avertissement. Puisse-t-il aussi ouvrir la voie à d’autres traductions, à d’autres publications faisant connaître aux Français une façon d’être et de sentir, une civilisation et une littérature d’un grand pays. L’avenir de l’Ukraine aura sur celui de l’humanité entière une influence décisive.
Piotr Rawicz
 
suivi de
Vassyl Barka, Le Prince jaune, traduction française de Olga Jaworskyj, Gallimard, Paris, 1981.

Confronté à l'ignorance pathologique de la question oukraïnienne, chaque préfacier croit nécessaire de présenter une brève histoire de l'Oukraïne, ainsi que le panorama de sa littérature inconnue. C'était déjà le cas en 1966 pour Emmanuel Raïs : L'Ukraine cette inconnue, préface de l'anthologie "Nouvelle vague poétique en Ukraine", PIUF, Paris, 1967.

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