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lundi 31 décembre 2012

Huit ans et cinq jours plus tôt - Вісім років потому

Lettre à Youriy Androukhovytch, decembre 2004. Archives Maasliouk 
(з мааслючного архіву)
Написане: неділя грудня 26, 2004 6:22 pm
Тема повідомлення: Вельмишановному Ю. Андруховичу - Нє поняв
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Вельмишановний,
 
Щойно прочитав Ваше інтерв’ю в “Окнах”, суботнім додатку до “Вєстєй” (23.12.04). Прикро, що Ви повинні займатися політ. лікнепом серед русскоязичноґо насєлєнія. Про літературу там не густо, здається Ольга Стешенко ні однієї Вашої книжечки в житті не бачила. Прикро, але необхідно – редакція “Вєстєй” не спромоглася досі до найменьшої статті про “любов до трьох помаранч”. Хіба що передруковують “Комсомольскую правду” : “Ющенко ляжет на пластическую операцию ?” (там таки), або “Избирателей Януковича вешают на заборах” (“від спєцкора КП у Львові”, idem), словом “Правда”. Не подумайте, що “Вєсті” – жовта преса : чи не найкращий російськомовний ізраільский часопис. Без жартів. А “Окна” взагалі з притензією на інтелектуальність. Властиво аналіза укр. подій таки є, політичний оглядач, Дов Конторер – мєжду прочім – зауважує : “Весьма вероятная победа Ющенко в ходе повторньіх вьіборов, назначенньіх на 26 декабря, станет простьім подтверждением того, что финансовьіе и политические ресурсьі США и Евросоюза сегодня намного больше российских. Настолько больше, что даже на Украине, представляющей для России зону первостепенньіх, жизненно важньіх интересов, консолидированньій Запад способен навязать Кремлю (и десяткам миллионов русскоязьічньіх жителей Украиньі) собственную волю.
Никаких других вьіводов из украинских собьітий сделать, увьі, невозможно.
 
Я, властиво про зовсім інше. Ви кажете : “...потому что некому нас перевести, нет достаточного числа хороших переводчиков украинской литературьі. Текстьі сами по себе рафинированньіе, утонченньіе, а людей, способньіх адекватно перевести их на английский, французский, - мало.” Як то розуміти ? Може коли нашкрябаємо пів-тони перекладачів - друкуватимуть ? Або коли міньян буде ? Я про Францію кажу, бо англомовних і міньян, і повнісіньку хоральну синагогу можна заповнити. Так от у Франції не тільки “рафінованої” а ніякої укр. літ. не друкують. За останніх 13 років : Роман Бабовал збірку Калинця переклав (96), пані Кабакова – гарненьку збірочку казок (99), перевидані “Тіні забутих предків” Жан-Кльод Маркаде (70, 01), ну і Хвильвий (93) зі Стусом (99). І все. Шевченка – нема, Лесі – нема, Франка – нема. Сквер Шевченко в центрі Парижа - є, а віршів цього poète ukrainien ніде не знайдеш. А щодо перекладачів, до вищезгаданих, сміливо додам : Марійку Маланчук, в її шухляді знайдете “Дівчинку з медведиком” Домонтовича, а ще що і не знаю, а у Ірина Дмитришин, що по шухлядах розкидане ? Не в перекладачах справа, любий клясик, а у фр. політиці. Хворіє тутешні на “патологічну русофілію”, а всіляки дуже культурні аташе малоросійські підспівують “нєт, нє било і бить нє может...”

З повагою,

Даруйте, як, що не те,

Олесь Мааслюк (тепер з двома а)

samedi 15 décembre 2012

Honte à moi !


Honte à moi ! Avoir confondu le merveilleux Piotr Rawicz (l’« auteur-Gallimard ») avec l’admirable Emmanuel Raïs !

Pour me faire pardonner, si cela est possible, je vous propose ci-après une lettre d’Emmanuel Raïs à Martin Buber. Elle est datée du 14 février 1947.
 

Cher Monsieur le professeur, voici encore quelques détails concernant votre voyage parisien.

1) Bachelard a obtenu du recteur que vous fassiez à la Faculté des Lettres vos trois conférences sur le mystère de la souffrance et sur l’idée fondamentale du chassidisme. Il croit que vous aurez un beau public d’étudiants et de spécialistes. Il conseille aussi de donner à la conférence sur le chassidisme un sous-titre explicatif.

2) En plus, selon son conseil, je me suis adressé à Jean Wahl, professeur de philosophie à la Sorbonne qui vous connaît de Pontigny – homme très proche de vous d’après ses vues – lui-même élève de Jacques Gordin. Il vous prie de faire 2 conférences (si possible) dans une très intéressante «association philosophique» qu’il dirige, sur un sujet de votre choix, en français si possible, concernant le judaïsme. Le point de vue du judaïsme, selon vous, sur tel ou tel autre problème.

3) M. Bachelard pense que votre arrivée à Paris est trop tardive – les étudiants étant trop occupés par les examens à cette époque. De toute façon, tant lui que M. Jean Wahl vous prient de préciser le temps de votre séjour à Paris pour qu’ils puissent préparer l’auditoire. C’est pourquoi je vous prie de m’écrire, sans beaucoup tarder, le temps exact où vous entendez être à Paris.

4) Dans les milieux juifs – j’ai parlé de votre voyage à M. Fink – écrivain et érudit hébraïsant et yiddish à Paris, dirigeant culturel sioniste le plus important. Il voudrait s’occuper de votre séjour parisien et vous prie, si vous pouvez, de faire 3 conférences à Paris pour le public juif : une dans le brith ivrit(h) – groupe d’élite d’hébraïsants – sur un sujet de votre choix en ivrit(h), une au centre culturel de la « Fédération des sociétés juives », si possible en yiddish, sinon en français, et une dans l’ « association des intellectuels juifs de France » – devant un public mélangé de Juifs et de chrétiens, en français. Il voudrait également, si possible, publier sur vous une étude dans la revue juive de langue française « quand même » qu’il dirige. Mais il lui faudrait pour cela vos œuvres suivantes : Zwiesprache, Die Frage an den Einzelnen et votre ouvrage hébraïque sur la philosophie du chassidisme, en n’importe laquelle des trois langues : hébreu, anglais ou allemand.

Il vous envoie – et je vous l’expédierai lundi (schabat (h) s’approche) – quelques numéros de la revue hébraïque machberot(h) qu’il a fondée et qu’il dirige, en même temps que le livre promis de M. Léon sur la conception matérialiste de la question juive et que le dernier numéro du « quand même » – le seul que je possède à cause d’un article que j’y ai inséré sur la discussion d’un problème d’art juif qui a eu lieu ici – pour vous en donner une idée.

Les articles des machberoth(h) qui lui semblent les plus intéressants pour vous, il les a marqué au crayon tantôt sur la couverture tantôt dans le texte.

D’une façon générale, j’ai l’impression que l’intérêt pour vous est très grand et que vous risquez davantage d’être submergé par trop de demandes de conférences que par trop peu. C’est pourquoi, contrairement à mon intention première, je n’ai parlé de votre arrivée qu’à un petit nombre de personnes très qualifiées comme Bachelard, Wahl ou Fink.

Les livres dont M. Fink a besoin pour son étude – il vous prie de les lui expédier le plus vite possible pour qu’il ait le temps de les étudier et publier l’étude sur vous avant votre arrivée.

En même temps je vous prie de préciser la date la plus exacte possible de votre arrivée à Paris.
Je reste à votre disposition pour tout autre enseignement ou démarche que vous désireriez.


Bien dévoué à vous
 

Source : Dominique Bourel, « Martin Buber et la culture française », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 18 | 2007, mis en ligne le 09 mars 2009, URL : http://bcrfj.revues.org/107


M. Bourel précise que Emmanuel Raïs est né en 1909 et mort en 1981, et qu’il était critique et essayiste.

Les nouvelles d'Ukraine sont bonnes !

 

Un grand merci à Oksana Mizerak pour cette belle affiche.

vendredi 14 décembre 2012

Oles Pliouchtch vs Magellan & Cie


Monsieur,

 C’est avec un sentiment de grand étonnement que je reçois votre courriel du 5 courant. Vous y écrivez notamment :

« Je crois que vous avez reçu le livre « Les Nouvelles d’Ukraine » lors du festival de Cognac, qu’il ne vous plaît pas et que vous en avez largement fait état auprès des différents participants à ce festival. »

On vous aurait mal informé. Après avoir acheté plusieurs exemplaires de cette publication lors du Festival des Littérature Européennes à Cognac (auprès du fournisseur exclusif du Festival, la librairie-papeterie « Maison de la Presse », 32, rue d’Angoulême, 12 € l’unité, TVA à 7% incluse), après en avoir pris connaissance, il est exact que j’en ai parlé à bon nombre de gens, toujours pour exprimer mon enthousiasme à l’endroit de cette petite anthologie de la prose oukraïnienne contemporaine. Mieux : en en parlant avec quelques libraires parisiens j’illustrais mon enthousiasme de courtes lectures à voix haute, et particulièrement celle de la merveilleuse traduction de « L’Atlas des routes d’Ukraine » de Serhiy Jadan.

Dans la « Prière d’insérer » que je demandais aux dits libraires d’ajouter aux « Nouvelles d’Ukraine », et que constitue pour l’essentiel le texte original de ma traduction de « …c’est ainsi… » de Taras Prokhasko, il est dit qu’une « version vandalisée par Marc Wiltz » est parue dans l’anthologie « Nouvelles d’Ukraine », coéditée par Magellan & Cie et le Courrier international. Cette « Prière d’insérer » se termine par la phrase suivante : « Une excellente petite anthologie ces Nouvelles d’Ukraine : Matios, Jadan, Zaboujko, Androukhovytch… » Non, décidément, vous êtes un homme mal informé.

Comme les textes me plaisent, j’ai décidé d’en organiser une lecture publique. Elle aura lieu dans le cadre des rencontres du Club Littéraire Ukrainien le 20 décembre 2012, à 19 heures, à la librairie « La Cartouche », 7 rue Jourdain, à Paris. Je ne vous y invite pas, mais l’entrée en sera libre, bien entendu.

Le différant qui m’oppose à vous est d’une nature toute autre que celle que vous voulez bien décrire. Rappelons les faits. Le 29 juin 2012, vous m’avez envoyé un courriel, dont voici l’intégralité :

« Bonjour Oles Pliouchtch,

voici le contrat vous concernant pour les traductions des nouvelles à paraître.

Pouvez-vous me donner votre adresse exacte pour la bonne conformité de celui-ci, ainsi qu’un RIB vous concernant ?

Merci d’avance

Bien à vous

Marc Wiltz »

La plus extravagante proposition de collaboration que j'ai jamais reçue. Bien que mon nom figure au début de cette missive, j’étais persuadé que vous vous adressiez à votre chien, et qu’une erreur de manipulation vous aurait fait envoyer ce courriel à mon adresse électronique. Il n’était pas pour moi question de me mêler des relations que vous entretenez avec vos animaux domestiques – je l’ai donc ignoré.

Dans votre second courriel – auquel je réponds présentement – vous écrivez qu’il vous est « difficile de communiquer » avec moi, car, écrivez-vous, « mes mails restent sans réponse ». Un petit mensonge significatif : il n’y eu aucun autre courriel de votre part. Monsieur Wiltz, vous êtes un petit menteur.

Et c’est le moindre de vos défauts. En effet, sans mon accord, vous vous êtes permis de « corriger » ma traduction, et il suffit de comparer les deux versions pour voir que vous l’avez tout simplement massacrée. Ce qui bien entendu me déplaît souverainement. Par ailleurs, j’ai l’habitude de faire paraître mes traductions littéraires sous le pseudonyme de Oles Masliouk et personne ne vous a donné le droit de publier mon véritable nom.

Mais tout cela est bien secondaire comparé au fait que vous vous soyez autorisé à modifier l’œuvre de Taras Prokhasko. En effet, cet auteur utilise, dans ce texte comme dans d’autres, une numérotation non-linéaire des chapitres. Cela fait partie de son style si particulier. Mais une telle chose vous dépasse et vous avez donc tout simplement supprimé la numérotation. Comme par ailleurs vous traitez votre travail d’éditeur par-dessus la jambe, dans votre zèle simplificateur, vous avez supprimé le très bref second IIIème chapitre. Je doute que vous ayez suffisamment d’imagination pour inventer une raison plausible justifiant l’omission dans le texte publié de ces deux phrases : « Les peurs partaient progressivement. Parfois par morceaux entiers, parfois en doses homéopathiques. » Monsieur Wiltz – vous êtes un jean-foutre.

Vous confirmez votre incompétence en tant qu’éditeur dans votre courriel même : vous y avouez en toute candeur que vos choix rédactionnels sont dictés non par la qualité des textes, mais par votre « intuition ». Vous êtes, Monsieur, un imbécile infatué de son importance.

Pour finir. Vous avez l’amabilité de m’indiquer que je me « trompe de combat ». Ne voulant rien vous devoir, je vous rends conseil pour conseil : essayez d’appliquer vos talents dans une sphère de l’activité humaine autre que la littérature. Marchand de cacahuètes, peut-être ?

Veuillez recevoir, Monsieur, l’expression de ma totale absence de considération « vous concernant ».

Oles Pliouchtch

P.J. : Facsimilé de la « Prière d’insérer » et de la version vandalisée, en format PDF.

P.S. Au vu du nombre de destinataires auquel j’envoie ce courriel pour information, vous comprendrez que la présente est une lettre ouverte. Quiconque désirant la reproduire sous quelque forme que ce soit est pleinement autorisé à le faire.

 
 
Update. Переклад українською цього «відкритого листа» пану Вільтзу : http://oles-maasliouk.livejournal.com/99946.html

Carte de visite


Bibliographie des traductions de l'oukraïnien au 1 juillet 2015
Carte de visite de 2006 retrouvée en novembre 2012

Il faut sans doute que je me présente, me suis-je dis en créant ce blog. Plutôt que de m’astreindre à la tache pénible d’écrire une autobiographie, j’ai recherché ce qu’il était possible d’apprendre sur moi dans les vastes espaces d’internet. En voici le résultat, complété par mes soins.

Je suis donc le fils de ma mère et de mon père. Dont acte. Et père de ma fille. Mon plus grand bonheur sur cette terre. Je suis aussi le petit-fils de mon grand-père maternel, mais l’internet l’ignore pour l’instant. Il me faudra un jour combler cette lacune. Ce qu’il ignore aussi est que mon arrière-arrière-grand-père était le chokhet (le boucher rituel) de l’une des communautés juives de la ville de Kyiv, ville où je suis né au milieu de siècle dernier. Comme l’écrivait le très tendrement aimé Leonid Kissyelyov : « Je suis un poète de la seconde moitié du vingtième siècle ».

Les deux catastrophes majeures de ce siècle maudit sont passées sur mes aïeux de leurs bulldozers de mort. J’ai nommé le génocide oukraïnien (dont l’épisode le plus connu est le Holodomor – un « détail » comme on dirait en France). Et la Choah, la Catastrophe du judaïsme européen. Il n’est donc pas étonnant que je considère ceux qui les nient comme mes ennemis personnels.

Cela dit il me faut préciser que je ne suis pas Juif, en tout cas pas selon la halakha, la loi religieuse juive, mais que je l’aurai été d’après les lois nazis, ceux de Nuremberg.

Je suis athée. Tout en étant très respectueux de toutes les religions. A une exception près : le satanisme. Et notamment deux de ses formes récentes – le bolchevisme et le nazisme. Voir plus haut.
 * * *

Avec Andreï Amalrik, 1977
Les informations que l’on trouve sur l’internet ne sont pas toujours exactes (euphémisme). Mais parfois tout en étant exactes elles peuvent prêter à des interprétations erronées.
Ainsi sur des sites consacrés à la littérature oukraïnienne vous pourriez apprendre que Oleksïy (Oles est le diminutif de ce prénom) Pliouchtch était un écrivain médiocre, qu’après avoir écrit quelques œuvres en prose sans grand intérêt, il s’est suicidé en 1907. Je est un autre. Toujours vivant bonnant mallant.  

En 2004, lors de la glorieuse Révolution Orange, un groupe de journalistes de la radio « Echo de Moscou » avaient créé un faux média électronique prétendument oukraïnien qui comptait parmi ses collaborateurs un certain Oles Pliouchtch. Amateur de mystifications moi-même – parmi mes personnages préférés de la littérature oukraïnienne au premier rang le sublime Edward Strikha – je n’ai aucun reproche à faire à Alexandre Pliouchtchenko qui avait pris ce pseudonyme. Je n’ai jamais collaboré avec aucun média russe. (En fait si, je m’en souviens maintenant. J’ai traduit un temps pour la revue « Glasnost » de Grigoriants. Lorsque l’on distribuera les décorations à ceux qui ont détruit l’Union Soviétique, il faudra que je pense à réclamer ma médaille en chocolat.)

Il y a encore ce récit du premier président oukraïnien, je veux dire le second premier président, L. Kravtchouk, au sujet de son rôle de saboteur de la reconstitution de l’Union Soviétique  : « A tout hasard je décidais qu’à la rencontre des chefs d’états qui devait se tenir dans la salle Guéorguiévsky au Kremlin j’enverrais à ma place Pliouchtch et Masliouk. Sans droit de signature, bien sûr. » Je ne suis ni l’un ni l’autre.

A propos de pseudonymes. Pour éviter l’ombre portée de mon père j’ai toujours demandé à ce que l’on publie mes traductions sous un nom d’emprunt. Le seul texte paru dont je sois l’auteur aussi d’ailleurs. Après avoir transféré sa rédaction de Munich à Kyïv la revue « Soutchasnist » baissa le niveau de ses exigences quant à la qualité des textes qu’elle publiait et fit paraître « Ignou » (inspiré de Allen Ginsberg). Mon pire pseudonyme : Igor Noud’ha. Choix d’autant plus malheureux qu’il existe un écrivain oukraïnien qui porte ce nom. Mais je l’ignorais à l’époque. « Ignou » fut traduit du français par Anatole Perepadya (le Anatole Perepadya, oui-oui).

…Preuve que les demi-dieux de la traduction font eux-aussi des erreurs : dans une première version Perepadya avait interprété le mot « mandala » comme « mandale ». Il avait rendu ce mot par le mot oukraïnien «стус» (stous – coup de poing).


Mes premières traductions littéraires sont celles des poésies de Vassyl Stous. Juste après sa mort. Son assassinat. Encore longtemps après je fus rongé par un terrible sentiment de culpabilité : nous aurions pu le sauver. Je l’affirme haut et fort : il aurait fallu être un peu plus persévérant alors, un peu plus agressif dans nos actions pour que les bolchéviques n’osent pas le tuer. C’est une certitude douloureuse. Nous, la communauté oukraïnienne de France, étions las. Nos misérables petites manifestations ne produisaient apparemment aucun effet. Souvent les CRS qui « protégeaient » l’ambassade soviétique étaient dix-vingt fois plus nombreux que les manifestants. Et nous n’avons à aucun moment usé de violence… 

Cela me fait penser à un épisode amusant. La manif avait été organisée au « mauvais moment » : la France recevait en grande pompe un quelconque salopard soviétique très haut placé. Nous aurions pu – pensaient-ils – de nos petites voix fluettes gâcher l’impression favorable de l’accueil chaleureux réservé au cher hôte. Deux ou trois paniers à salade avaient suffi à transporter tous les manifestants dans un commissariat. Non pas le plus proche, mais celui qui se trouve à côté du Grand Palais, je ne sais pas pourquoi. C’est étrange, mais je portais le portrait de Stous à cette manif. Pur hasard : les prisonniers politiques oukraïniens se comptaient par dizaines à l’époque et les portraits bricolés la veille étaient nombreux. On devrait pouvoir retrouver les photos dans les archives des agences de presse. L’épisode en question s’était passé au commissariat. Soudain, tandis que nous passions le temps à deviser entre nous, la porte du commissariat s’ouvrit et un grand bonhomme au crâne rasé entra (suivi d’une petite cour). Sans hésiter il se dirigea vers nous, d’un geste d’autorité il repoussa le planton de la main et entra dans la cage pour saluer chaleureusement les fauteurs de troubles. La stupéfaction sur les visages des policiers est une des choses les plus étonnantes que j’ai vues de ma vie. Revenus de leur stupeur ils essayaient de faire sortir l’intrus de derrière les barreaux – le comique était à son comble – mais n’y parvenaient pas, sentant, sans le comprendre, qu’ils avaient devant eux une Autorité bien supérieure à la leur. (Un journaliste avait prévenu Michel Foucault de l’incident près de l’ambassade. Je vous le dis : impressionnant le bonhomme.)


…La honte est sans doute mauvaise conseillère, mais je commençais à traduire Vassyl Stous. Je n’aime pas ces premières traductions. Et le pseudonyme sous lequel ils furent publiés non plus : Olaf Hedera. Ensuite ma grande amie Anne Renoue accepta de traduire en tandem. Ce sont les meilleures traductions de Stous à ce jour. Et le mérite en revient entièrement à Anne. Elle m’a beaucoup appris alors (mais non pas lorsqu’elle fut mon professeur de français au Lycée International de Sèvres). Celles que j’ai faites plus tard – en tant que Alice Kessoss ou Oles Masliouk seul – sont moins bonnes, il me faut le reconnaître, même si mon amour propre doit en souffrir. Il est difficile de juger la qualité de ses propres traductions, ou plutôt il est impossible de le faire lorsqu’il s’agit de poésie. C’est pourquoi je fus ravi d’apprendre que André Jolivet, un peintre breton ignorant tout des questions oukraïniennes, ait aimé les traductions et qu’il a fait une édition pirate et de luxe du cycle « Kostomarov à Saratov ».


Nous sommes le 14 décembre 2012.
Aujourd’hui, dans le cadre du séminaire « L'Ukraine du XIXe au XXIe siècle : Fragments d'une histoire culturelle (oeuvres, figures et lieux) », les étudiants de l’Université de Genève étudient les œuvres de Vassyl Stous « d’après la traduction proposée par la Librairie Oukraïnienne Éphémère ». J’avais à l’époque – en 1999 – collecté toutes les traductions de la poésie oukraïnienne en français que j’ai pu trouver (et pas seulement en français). Je les ai recherché (et trouvé !) dans des endroits les plus improbables. Ainsi le site Mazepa99 proposait pour la première fois (!) depuis leur première publication dans un obscur journal communiste les cinq poèmes de Chevtchenko traduits par Louis Aragon. Les seules traductions vraiment bonnes de Chevtchenko en français, car si l’homme était détestable, il était néanmoins un poète et un traducteur de très grand talent. Un grand bonheur fut de trouver dans le manuel « Parlons ukrainien. Langue et culture. » la traduction d’un poème de Stous par Marie Venhrénivska. Non pas à cause de la qualité exceptionnelle de la traduction, mais parce que c’était la seule traduction où n’avait pas participé Hedera-Kessoss-Masliouk.


…Il y a un mois, ces mêmes étudiants se penchaient sur mes traductions de Mykola Khvylovy. Il faudrait que je raconte un jour comment ce recueil de nouvelles fut mis au pilon par l’éditeur. J’ignore comment à Genève on a pu s’en procurer un exemplaire. Ni à Tchernivtsi d’ailleurs, à l’université duquel  Hanna Kouchniriouk a reçu il y a quelques mois la mention « excellent » pour son travail « Les phénomènes de métaphorisation, de démétaphorisation et de remétaphorisation dans les traductions françaises des œuvres de littérature oukraïnienne (sur l’exemple des traductions des œuvres de Mykola Khvylovy). » Et qui devait, entre autre, « Зіставити метафори з оригіналу новел М. Хвильового та проаналізувати їх передачу Олесем Маслюком при перекладі ». Heureusement que le millepatte ne se demande pas comment il se déplace.
http://olespliouchtch.blogspot.fr/2013/02/khvylovy-pour-tous.html


…La seule de mes traductions de Emma Andievska qui soit jamais paru à ce jour est son « Djalapita ». Dans l’anthologie de M. Joukovsky. (Un professeur d’INALCO qui publie des livres pirates – voilà une histoire « très-oukraïnienne »).


Emma Andievska… Elle est encore plus « химерна » que je ne le suis face au monde de l’édition. Jugez par vous-même : le plus grand écrivain oukraïnien contemporain (c’est ainsi) vit à Munich et fait publier ses œuvres complètes (le cinquième tome est paru l’année dernière) à Bat Yam, une obscure bourgade israélienne, chez un éditeur dont on n’est pas certain qu’il existe réellement. Traduite dans une dizaine de langues (son traducteur en hébreu vit à côté de la centrale nucléaire de Dimona), elle est quasiment inconnue en Oukraïne. J’exagère à peine. Ses admirateurs sont une espèce de secte dispersée sur toute la planète. Se reconnaissant entre eux par des mots et des signes mystérieux. Dites « Djalapita » et vous verrez – si vous tombez sur l’un de nous – les yeux de votre interlocuteur s’illuminer brusquement. Et briller comme les yeux d’un dément. Et cette mésaventure peut vous arriver n’importe où : à New York, à Berlin, à Jérusalem, à Toronto, à Mumbai, à Sidney, à Tokyo et même à Paris. Vous ne me croyez pas, je sais. Et pourtant c’est vrai.

 
Emmanuel Raïs (un « auteur-Gallimard ») a écrit un jour : « Parmi les 5 ou 6 jeunes gens qui constituent (…) deux surtout émergent, qui, s'ils avaient la chance d'une traduction efficace, ne manqueraient certainement pas d'enthousiasmer les lecteurs, même les plus exigeants, de notre époque : il s'agit de Iouri Tarnavsky et, tout particulièrement de Emma Andievska, qui a vraiment créé une nouvelle dimension de la poésie, en alliant, avec une fabuleuse richesse verbale et métaphorique, les acquisitions les plus osées du surréalisme, avec une vision très personnelle des domaines les plus insolites du folklore, comme la sorcellerie et la foire. On retrouve chez cette toute jeune femme des éblouissements d'une profondeur mystique, qu'on chercherait en vain chez maint sage aux cheveux blancs. »
Ce texte est de 1966.











Et si je vous disais où sont parues mes traductions de Tarnavsky…

Il me faut maintenant aborder l’histoire récente d’un marchand de cacahuètes qui se prenait pour un éditeur. Histoire très désagréable et même pénible. Et comme je n’ai pas envie de le faire, je vais plutôt reproduire dans le prochain post la correspondance que j’ai entretenue avec le dit mercanti.